Lorsque le magazine ÉNERGIE a voulu interviewer NJ Ayuk, président de la Chambre africaine de l’énergie, une panne d’électricité a retardé l’appel international sur Zoom. Il s’agissait d’une confirmation involontaire, mais percutante de la nécessité d’accroître les investissements et le développement des énormes ressources énergétiques de l’Afrique.
Selon un rapport spécial de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) de novembre 2019, la demande de pétrole de la population africaine en pleine expansion devrait dépasser celle de la Chine au cours des 20 prochaines années et deviendra la troisième source de croissance de la demande de gaz naturel dans le monde. Cependant, à l’heure actuelle, environ 70 % des Africains ne sont pas rattachés au réseau. La Chambre entend s’attaquer à cette pauvreté énergétique.
« Lorsque vous avez 850 millions de personnes qui n’ont pas accès à l’électricité ou à tout autre type d’énergie, vous avez un grand marché. Le gaz naturel va donc vraiment changer, non seulement les exportations de l’Afrique pour l’obtention de devises étrangères, mais aussi la vie en Afrique », a déclaré M. Ayuk, de Johannesburg, en Afrique du Sud.
Directeur général de l’un des plus grands cabinets d’avocats africains spécialisés dans le pétrole et le gaz (Centurion Law Group), M. Ayuk a vu la Chambre croître de manière exponentielle depuis son lancement en 2017. Environ 70 % des exploitants de pétrole et de gaz sont devenus membres de la Chambre dès la première année, le secteur des énergies renouvelables s’est aussi joint à elle. Les services publics apportent une assistance technique.
Ayuk attribue l’attrait de la Chambre à l’accent qu’elle met sur la bonne gouvernance, les solutions sensées et la promesse de mettre fin à la mauvaise gestion et à la corruption dans le secteur de l’énergie. L’association est très favorable à l’Afrique et, en particulier, à l’autonomisation des jeunes et des femmes — traditionnellement exclus de l’industrie.
L’Afrique est connue depuis longtemps comme étant un continent riche en ressources naturelles. Elle a produit près de 10 % de la production mondiale de pétrole en 2019 et revendique une réserve prouvée de gaz de près de 500 billions de pieds cubes. À l’instar du Nigeria, le Mozambique, la Tanzanie, le Sénégal et la Mauritanie sont le théâtre d’immenses découvertes de gaz naturel, ce qui pourrait entraîner des progrès économiques et sociaux pour 1,2 milliard de personnes vivant sur le continent.
Jusqu’à maintenant, l’Afrique subsaharienne fournissait 10 % de la production mondiale de GNL, soit l’équivalent de 28 millions de tonnes par année. La capacité de production devrait augmenter de 150 % d’ici 25 ans, pour atteindre 84 millions de tonnes (MT) par an, soit entre 15 et 20 % du marché mondial, selon les perspectives énergétiques africaines 2020 de la Chambre africaine de l’énergie.
La capacité à condenser et à transporter le combustible à combustion plus propre à travers les lignes de transport existantes est un facteur déterminant dans la recherche d’équité énergétique sur le continent. Alors que les développements énergétiques en mer ont attiré des milliards de dollars d’investissements, le manque de pipelines et les défis liés à la création de nouveaux réseaux constituent un avantage pour le gaz naturel liquéfié (GNL).
« Cela donne l’occasion à ces anciens investisseurs et entrepreneurs de travailler sur de petites installations de GNL et de gaz à petite échelle. C’est là que se dessine l’avenir du gaz naturel pour l’Afrique », a déclaré M. Ayuk. En plus du grand marché intérieur, la demande de la Chine, de l’Inde et de l’Amérique du Nord offre d’énormes possibilités au secteur africain du gaz naturel. Selon le rapport de l’AIE intitulé « Perspectives énergétiques de l’Afrique pour 2019 », le continent deviendra au cours des 30 prochaines années un fournisseur majeur de GNL sur le marché mondial.
Investissements essentiels
Il faut toutefois se l’avouer, sans investissements appropriés, les ressources énergétiques africaines resteront sous-développées et non compétitives. L’un des principaux obstacles pour attirer les investissements est le manque d’information, a fait remarquer M. Ayuk. Bien que certaines des premières unités de production flottantes de GNL au monde se trouvent en Afrique, les découvertes dans des pays comme le Sénégal et la Tanzanie n’ont pas reçu l’attention qu’elles méritent, car elles ne sont pas aussi connues que celles du Nigeria ou de l’Angola. Pourtant, en 2020, la Chambre a vu les décisions finales d’investissement sur les projets de gaz naturel du Mozambique s’élever à près de 50 milliards de dollars.
« À l’ère du changement climatique et de la transition énergétique, l’Afrique reste le continent le plus inexploité et le moins exploré en ce qui concerne le gaz naturel », a déclaré M. Ayuk. Dans un passé récent, lorsque les grandes compagnies pétrolières ont découvert du gaz, elles ont cessé de forer et n’ont pas exploité la ressource, et elles continuent à brûler le gaz naturel associé à l’exploitation des réserves de pétrole.
« Nous avons un tel potentiel de ressources naturelles, mais il faut investir pour les développer, pour stimuler le développement », a-t-il déclaré. « Nous ne voulons pas seulement parler de ce grand potentiel. Vous pouvez avoir les plus beaux produits, mais il ne sert à rien de se limiter à en parler », a poursuivi M. Ayuk. « Nous avons donc besoin non seulement d’investir des fonds, mais aussi d’expertise, des gens qui comprennent ce que cela signifie de marcher sur des terrains difficiles, qui ont les compétences que nous n’avons pas. Des gens comme les producteurs canadiens de pétrole et de gaz, qui ont des décennies d’expertise dans l’extraction de l’énergie dans des environnements difficiles », a-t-il déclaré.
Il y a près de dix ans, M. Ayuk a passé du temps au Canada et en a ramené un sentiment renouvelé de l’importance du consensus pour rassembler les gens. Pour un continent qui compte 54 pays et les langues et cultures qui y sont associées, trouver un objectif commun — promouvoir le développement énergétique pour favoriser le changement économique et social — est ce qui permettra d’unir les diverses voix.
« Lorsque vous avez un objectif commun qui vous met en position de pouvoir — et ce que nous faisons surtout, c’est créer une plateforme où les gens peuvent s’exprimer — et que vous pouvez le regarder sans que beaucoup de choses viennent brouiller les pistes, des principes comme favoriser le partage du pouvoir avec les femmes ne nécessitent pas davantage de discussions, puisque nous épousons déjà ces principes ».
Sécurité et stabilité politique
L’atteinte de la sécurité et de la stabilité politique est un facteur clé pour promouvoir le développement des ressources énergétiques de l’Afrique, ce que la Chambre considère comme un objectif primordial, non seulement pour attirer les investisseurs, mais aussi pour changer la façon dont les choses fonctionnent sur le continent.
« Nous devons nous éloigner de la mentalité de droit et faire plus, dans une certaine mesure, pour nous éloigner de l’aide internationale. Nous ne voulons pas d’une telle aide, nous voulons des investissements », a déclaré M. Ayuk. « Nous devons nous éloigner des choses qui ont fait notre malheur dans le passé — la mauvaise gestion, la corruption, le manque de transparence. Toutes ces questions doivent être réglées si nous voulons rendre l’Afrique compétitive pour l’avenir ».
L’une des plus importantes initiatives de la Chambre est de donner une place aux personnes traditionnellement exclues de la participation aux industries énergétiques africaines — les jeunes Africains et les femmes, en particulier.« Je pense que pour notre génération d’Africains, si nous ne pouvons pas vraiment préparer nos gouvernements et nos communautés à devenir un environnement propice pour attirer les investissements, nous faisons erreur. Nous avons donc placé la barre très haut, en commençant par préparer l’arrivée des investisseurs. Ensuite, nous devons parler aux investisseurs de tous les pays qui ont de sérieuses intentions d’investir parce que nous pensons que c’est bon pour la stabilité d’investir dans le secteur énergétique africain ».
Dina O’Meara couvre les affaires énergétiques canadiennes depuis près de 20 ans