Tout a commencé début janvier 2023, lorsqu’un membre de la U.S. Consumer Product Safety Commission (CPSC — commission de surveillance des produits de consommation), interrogé sur des études liant l’utilisation de cuisinières à gaz à l’asthme infantile, a déclaré à Bloomberg News que « toutes les options sont sur la table » et que « les produits qui ne peuvent pas être rendus sûrs peuvent être interdits » [traduction].
La Commission s’est empressée de revenir sur les propos du commissaire Richard Trumka Jr, nommé par M. Biden, et d’assurer les membres du public que personne ne viendrait emporter leurs poêles. Mais il était trop tard : L’article du 9 janvier avait déjà déclenché une nouvelle escarmouche dans les guerres culturelles américaines et une frénésie médiatique.
Les médias se sont livrés à une véritable compétition pour la couverture la plus clichée. The Economist a observé qu’un « débat enflammé s’est déclenché en Amérique » à propos d’une proposition qui a « enflammé certains républicains ». Politico a estimé que « le feu de paille a donné aux législateurs républicains l’occasion de remettre les politiques énergétiques de M. Biden sur le devant de la scène » [traduction].
Dans l’ensemble, « c’était un cycle de nouvelles très stupide », a dit un porte-parole d’un démocrate de la Chambre. « Si peu de ces choses étaient fondées sur des faits. » Personne n’est plus d’accord avec cette évaluation que l’industrie gazière américaine, qui a rapidement lancé un effort public pour réfuter la validité du rapport qui a déclenché le cafouillage des cuisinières à gaz.
Le rapport en question a été publié en décembre 2022 dans l’International Journal of Environmental Research and Public Health et affirme que près de 13 % des cas actuels d’asthme chez les enfants aux États-Unis peuvent être attribués à l’utilisation de cuisinières à gaz et à l’impact sur la qualité de l’air intérieur des émissions de dioxyde d’azote, de monoxyde de carbone et de particules fines.
Dans une déclaration publiée le lendemain de la parution de l’article de Bloomberg, l’American Gas Association (AGA) a contesté les conclusions du rapport et a fait remarquer que celui-ci avait été financé par des organisations non gouvernementales, notamment le groupe de réflexion sur l’énergie propre Rocky Mountain Institute (RMI), « pour faire avancer leur programme visant à supprimer le choix énergétique des consommateurs et l’option du gaz naturel » [traduction].
L’AGA a publié une autre déclaration quelques jours plus tard, annonçant que le RMI « a finalement admis » que l’étude « ne suppose pas ou n’estime pas une relation de cause à effet entre l’asthme infantile et les cuisinières à gaz naturel » [traduction].
La Présidente et chef de la direction de l’AGA, Karen Harbert, a souligné dans la couverture initiale que ni la CPSC ni l’Environmental Protection Agency (EPA) ne présentent les cuisinières à gaz comme un facteur majeur qui contribuerait à la qualité négative de l’air ou à un risque pour la santé dans leur documentation technique ou d’information, leurs orientations ou leurs exigences destinées au public.
« Pour une question aussi importante et personnelle que la santé des enfants, des données scientifiques solides sont importantes » [traduction]
– Karen Harbert, Présidente et chef de la direction, AGA
(EPA) ne présentent les cuisinières à gaz comme un facteur majeur qui contribuerait à la qualité négative de l’air ou à un risque pour la santé dans leur documentation technique ou d’information, leurs orientations ou leurs exigences destinées au public
« Cette conversation a été alimentée en grande partie par une étude qui n’a recueilli aucune donnée et n’a fait aucune hypothèse de causalité et s’appuie sur des rapports qui n’ont pas testé de cuisinières au gaz naturel et qui n’ont pas tenu compte de la recherche qui n’a trouvé aucun lien entre les cuisinières à gaz et l’asthme », a déclaré Mme Harbert. « Pour une question aussi importante et personnelle que la santé des enfants, des données scientifiques solides sont importantes » [traduction].
Dans sa réponse, l’AGA a cité une étude réalisée en 2022 par GTI Energy, qui a testé en laboratoire des cuisinières à gaz et des cuisinières électriques. L’étude n’a révélé aucune différence dans les émissions de particules, mais elle a démontré l’importance d’une bonne ventilation pour tous les types de cuisinières, car les émissions provenant des aliments et de l’huile sont produites pendant la cuisson, quelle que soit la source de combustible.
Trois jours après la publication de l’article de Bloomberg, Mme Harbert a suggéré, lors d’une conversation téléphonique avec des journalistes, que l’une des raisons de ce tollé était le simple fait que les Américains aiment vraiment leurs cuisinières à gaz. En effet, on estime que 38 % des ménages américains disposent de cuisinières à gaz et les enquêtes montrent que les cuisiniers professionnels privilégient massivement le gaz pour cuisiner.
Le « StoveGate », qui met l’accent sur la santé et la qualité de l’air intérieur, n’est qu’une manifestation de la pression plus vaste et de plus en plus forte en faveur d’interdictions à grande échelle sur les nouveaux raccordements au gaz naturel de la part d’activistes qui considèrent l’électrification totale du système énergétique des États-Unis comme la clé pour mettre un terme aux changements climatiques.
À la fin du mois de janvier 2023, près de 100 villes et comtés du pays avaient adopté des décrets d’électrification qui interdisent ou découragent les raccordements au gaz pour les nouveaux bâtiments en faveur d’appareils électriques et de thermopompes. Ce chiffre est surprenant si l’on considère qu’il y a seulement quatre ans, Berkeley, en Californie, est devenue la première ville américaine à approuver l’interdiction des raccordements au réseau de gaz naturel. La loi est entrée en vigueur en août 2021.
La gouverneure de l’État de New York, Kathy Hochul, est entrée dans la danse juste au moment où la controverse sur les cuisinières à gaz prenait de l’ampleur. Son plan (annoncé le 12 janvier 2023) interdirait les raccordements au réseau de gaz dans les nouvelles constructions, en commençant par les nouvelles maisons en 2025 et en s’étendant aux grands bâtiments en 2028 — une mesure qui, selon l’AGA, « augmenterait les coûts pour les consommateurs, mettrait en péril les progrès environnementaux et priverait les populations mal desservies d’une énergie abordable » [traduction].
Les défenseurs du gaz ont riposté : jusqu’à présent, 24 États — dont beaucoup bénéficient d’un soutien bipartisan — ont adopté une loi sur le « choix du combustible » qui empêche les municipalités d’interdire l’utilisation du gaz naturel dans les bâtiments. Ces États représentent près d’un tiers de la consommation résidentielle et commerciale de gaz aux États-Unis. Des lois similaires ont été introduites dans plusieurs autres États.
Le secteur a également remporté des victoires devant les tribunaux, notamment une décision de la Cour d’appel des États-Unis pour le neuvième circuit (17 avril 2023) qui a annulé le décret de Berkeley au motif que les autorités municipales avaient outrepassé leurs pouvoirs en adoptant l’interdiction. On s’attendait à ce que cette décision soit contestée, mais les experts estiment que d’autres interdictions pourraient ne pas être menacées en raison de l’étroitesse de l’arrêt sur les spécificités de la Loi de Berkeley.
Même en l’absence d’interdictions, les partisans de l’électrification des bâtiments comme moyen de réduire les émissions de gaz à effet serre (GES) disposent de nombreux outils pour encourager les changements souhaités dans le comportement des consommateurs. L’Inflation Reduction Act de 2022, par exemple, a créé des remises allant jusqu’à 840 dollars sur le coût d’une table de cuisson, d’une cuisinière ou d’un four mural électrique, ainsi que des remises et des crédits d’impôt pour les thermopompes et les véhicules électriques.
Le tollé suscité par les cuisinières à gaz montre qu’il est difficile de gagner devant le tribunal d’opinion publique, même lorsque les faits sont de votre côté. Les données scientifiques fiables sont importantes, mais elles ne permettent pas de gagner la guerre des relations publiques lorsque les personnes que vous espérez persuader agissent avec leur cœur plutôt qu’avec leur tête.
Alors que le patron de Trumka à la CPSC a insisté après le fracas sur le fait qu’aucune interdiction ou restriction pure et simple des cuisinières à gaz n’était inscrite au registre, la Commission s’était déjà engagée en décembre 2022 à envisager de nouveaux règlements en matière de sécurité. La CPSC a prévu d’ouvrir une période de consultation publique en mars 2023 pour solliciter des commentaires, mais M. Trumka a déclaré dans son interview à Bloomberg qu’il était peu probable qu’une action ou que de nouvelles propositions soient entreprises cette année.
Il y a seulement quelques années, l’idée d’une interdiction nationale des cuisinières à gaz aux États-Unis aurait semblé absurde. Cependant, sans aller jusqu’à l’interdiction totale, les nouvelles normes d’efficacité des appareils proposées par le département de l’Énergie au début de l’année rendraient inadmissible la moitié des cuisinières à gaz actuellement sur le marché américain.
S’il est peut-être trop tôt pour prédire à quel point l’histoire d’amour de la nation avec la cuisine au gaz sera freinée par des affirmations non fondées sur la qualité de l’air, la réglementation en matière d’efficacité et la volonté d’électrification totale, une chose semble certaine : En tant qu’élément de base de la guerre culturelle symbolisant le fossé apparemment infranchissable qui divise les factions politiques américaines, la cuisinière à gaz est là pour rester.
Attendez-vous à ce que la question de l’interdiction des cuisinières à gaz soit remise sur le tapis à l’approche de l’élection présidentielle américaine de 2024.
Dans l’atmosphère polarisée et hyperpartisane qui imprègne la politique américaine, il y a peu de place pour un débat réfléchi et raisonné sur les mérites relatifs de la cuisson au gaz par rapport à la cuisson électrique, ou d’ailleurs sur la meilleure façon pour les États-Unis de garantir un accès continu à une énergie abordable et fiable tout en réduisant les émissions afin d’atteindre les objectifs fixés par les gouvernements. Les questions d’accessibilité et de fiabilité retiennent de plus en plus l’attention, car elles sont toutes deux sérieusement menacées par un programme d’électrification. Mais le discours politique consiste avant tout à gonfler la base et à réduire des questions complexes à des slogans qui tiennent sur un t-shirt, un chapeau ou, dans le cas présent, un tablier.
David Coburn est un penseur stratégique, un écrivain, un expert en relations avec les médias et un consultant en communication qui s’appuie sur plus de 30 ans d’expérience en journalisme imprimé et en relations publiques d’agences.