Le positionnement du Canada sur les changements climatiques est-il devenu une menace pour notre compétitivité?

Les points de vue et opinions exprimés dans cet article sont ceux des auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique ou la position officielle de l’Association canadienne du gaz.

Par Tim Powers

Depuis le début de l’année 2020, nous avons assisté à un débat important dans tout le pays sur la position que doit prendre notre gouvernement par rapport aux changements climatiques, pour ne pas nuire à notre compétitivité. Le point de vue du gouvernement actuel est motivé par son engagement à utiliser le prix du carbone comme moyen essentiel pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et de changer les comportements. Il s’est également engagé à ce que le Canada ait zéro émission nette, grâce à divers moyens, d’ici 2050.

De nombreux dirigeants politiques conservateurs considèrent les politiques du gouvernement fédéral comme un obstacle majeur à l’avancement économique, en particulier dans le secteur des ressources naturelles. Ils — souvent dirigés par le premier ministre de l’Alberta Jason Kenney et par différents groupes d’entreprises — affirment que s’il est important de s’attaquer à la politique de lutte contre les changements climatiques, cela ne doit pas se faire d’une manière qui porte gravement atteinte à l’économie canadienne et au climat d’investissement qui en découle. Kenney soutient également que l’unité nationale est en jeu en ignorant la voix des provinces productrices de ressources comme l’Alberta, qui souffrent économiquement en partie à cause des changements réglementaires.

L’argument de Kenney a très certainement des partisans. Mais il s’inscrit aussi dans une rhétorique politique polarisée qui rend difficile la prise de décisions commerciales pragmatiques et tournées vers l’avenir. La politique climatique canadienne est également interconnectée sur le front du développement des ressources avec les relations entre les peuples autochtones et la Couronne. Comme l’ont montré les récents blocages ferroviaires au Canada, il n’y a pas de voie facile pour mettre en application la politique de développement des ressources.

« On peut dire que la menace pour la compétitivité est l’intransigeance politique bien enracinée de plusieurs acteurs politiques — et non la seule position du Canada en matière de climat ».

La décision de Teck Resources en février de ne pas poursuivre son projet de sables bitumineux de 20 G$ à Fort Hills, en Alberta (connu sous le nom de Frontier) montre bien les défis de la compétitivité canadienne. Après environ une décennie d’examen, la signature d’accords avec 14 Premières nations autochtones et l’approbation du projet par un comité d’examen fédéral, la société a décidé de ne pas déposer son projet pour obtenir l’approbation finale du gouvernement fédéral. Quelle est la raison de cette volte-face?

Les sages paroles du directeur général de Teck, Don Lindsay, devraient être entendues par tous les gouvernements du pays. Dans sa lettre au gouvernement fédéral expliquant pourquoi sa société retirait sa demande, il écrit : « … les marchés financiers mondiaux évoluent rapidement, et les investisseurs et les clients recherchent de plus en plus des gouvernements qui mettent en place un cadre qui concilie le développement des ressources et la lutte aux changements climatiques, afin de produire les biens les plus propres possible. Nous n’en sommes pas là actuellement et, malheureusement, le débat croissant autour de cette question a placé Frontier et notre entreprise au cœur de questions beaucoup plus vastes qui doivent être résolues » [traduction].

Pour paraphraser M. Lindsay, quelle que soit votre position dans le débat sur les changements climatiques, si les gouvernements et autres acteurs ne peuvent pas trouver un espace sûr pour forger un accord raisonnable sur la manière de développer les ressources dans ce contexte mondial, alors rien ne se passera. On peut dire que la menace pour la compétitivité est l’intransigeance politique bien enracinée de plusieurs acteurs politiques — et non la seule position du Canada en matière de climat.

Tim Powers est vice-président du conseil d’administration de Summa Strategies Canada ainsi que administrateur délégué d’Abacus Data, toutes deux ayant leur siège social à Ottawa. M. Powers est souvent invité à l’émission Power and Politics du réseau de télévision CBC, ainsi qu’à la chaîne VOCM de Terre-Neuve-et-Labrador, sa province d’origine.


Par Jason Clark

Le pays est au cœur de l’une des conversations les plus difficiles et les plus nécessaires de notre histoire : comment le Canada peut-il réduire efficacement ses émissions de gaz à effet de serre et s’adapter aux changements climatiques tout en fournissant ses abondantes ressources naturelles à un marché mondial marqué par la croissance de la demande de produits énergétiques? Il s’agit d’une conversation cruciale sur la transition verte à laquelle sont actuellement confrontés les gouvernements, les entreprises et les particuliers. Bien que cette discussion ait polarisé les positions de toutes les parties, il est clair que ne pas s’occuper des changements climatiques n’est pas une option et que le Canada doit trouver le juste équilibre entre les politiques environnementales et économiques pour assurer sa prospérité.

Les changements climatiques constituent une menace pour notre économie si nous n’en tenons pas compte. En prévision de la prochaine réunion de la COP26 des Nations unies au Royaume-Uni, l’envoyé spécial pour l’action et les finances en matière de climat, l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, a fait remarquer que chaque entreprise, assureur et banque devra ajuster ses modèles commerciaux pour tenir compte des changements climatiques. Le gouvernement canadien doit continuer à promouvoir des politiques qui accordent une place importante aux changements climatiques afin de concurrencer les autres pays du G7 et du G20, d’une part, mais aussi de protéger nos infrastructures et nos systèmes énergétiques contre les phénomènes météorologiques extrêmes, d’autre part.

Une politique économique qui s’attaque au changement climatique constitue une opportunité pour l’économie canadienne. Dans un récent entretien avec Chris Hall de la CBC, le président-directeur général du Conseil canadien des entreprises, Goldy Hyder, a réitéré son appel à la certitude politique à tous les ordres de gouvernement qui soutiennent la tarification du carbone, mais a mis en garde contre une politisation accrue des changements climatiques. Cela signifie non seulement que nous devons aller de l’avant avec un prix sur le carbone dans tout le pays, mais aussi que nous devons accepter de travailler ensemble pour assurer le succès des grands projets de ressources naturelles au Canada. Ces projets, lorsqu’ils sont bien réalisés, profitent aux partenaires des communautés locales, font progresser la réconciliation avec les peuples autochtones grâce à l’autonomisation économique et assurent une prospérité qui permettra de faire la transition vers une économie verte et une planète moins polluée par le carbone. Le gouvernement libéral s’est engagé à investir les profits du pipeline Trans Mountain dans des initiatives à faible émission de carbone et des technologies propres, tout en cherchant à inclure financièrement des partenaires autochtones. Nous pouvons tous considéré ce modèle comme une source de fierté.

La position du Canada par rapport aux changements climatiques est un impératif pour notre compétitivité, et non une menace. Afin de fournir une feuille de route pour une transition vers une économie verte à long terme, le gouvernement s’est engagé à dépasser les objectifs climatiques de Paris de 2030 et à faire progresser le Canada vers une économie ambitieuse de zéro émission nette d’ici 2050. Cela nous permettra de miser sur un environnement propre pour notre économie, et de proposer de nouvelles solutions et technologies innovantes pour réduire nos émissions de GES. Loin d’être une menace, le positionnement de l’économie canadienne de manière à ce qu’elle prospère grâce aux mesures prises pour lutter contre les changements climatiques constituera notre avantage concurrentiel à long terme.

Jason Clark est conseiller principal chez Crestview Strategies. Il a travaillé à l’élaboration de politiques publiques et à des campagnes de défense et de mobilisation, dont tout récemment pour Ingénieurs sans frontières Canada. M. Clark a également œuvré auprès d’un large éventail d’organismes canadiens sans but lucratif sur des questions commerciales et de développement international à Ottawa. Soulignons qu’il a déjà géré l’une des plus importantes campagnes de mobilisation du public sur les changements climatiques, l’énergie et la durabilité en Grande-Bretagne.


Par Kathleen Monk

Les changements climatiques constituent une menace existentielle pour notre planète. Ne pas agir aurait non seulement des conséquences catastrophiques pour notre environnement, mais nous mettrait également en porte-à-faux par rapport à la réflexion actuelle des milieux d’affaires et d’investissement.

L’été dernier, les membres de la Business Roundtable, un groupe de directeur général des deux cents plus grandes entreprises américaines, dont Tim Cook d’Apple, Dennis Muilenburg de Boeing et Mary Barra de GM, ont tous signé une lettre articulant une nouvelle vision de l’objectif d’une entreprise. Le profit et la valeur actionnariale ne seraient plus les seules préoccupations. Au lieu de cela, les directeurs généraux ont convenu de fixer des objectifs pour se concentrer sur « l’investissement dans les employés, la création de valeur pour les clients, les relations éthiques avec les fournisseurs et le soutien aux communautés extérieures » [traduction]. Dans cette déclaration, les directeurs généraux se sont engagés à « protéger l’environnement en adoptant des pratiques durables dans toutes leurs entreprises » [traduction].

Cinq mois plus tard, en janvier 2020, Larry Fink, le directeur général du géant de l’investissement BlackRock, a écrit dans sa lettre annuelle aux directeurs généraux que son entreprise placerait désormais la durabilité environnementale au cœur de ses décisions d’investissement. Cité dans le New York Times, Fink a déclaré que « les preuves sur le risque climatique obligent les investisseurs à réévaluer les hypothèses de base de la finance moderne » [traduction]. Le fait que des gens comme Fink, qui ont été critiqués pendant des années pour ne pas avoir parlé sérieusement du climat ou de l’empreinte carbone — mais qui le font maintenant — constitue un cri d’alarme qui affirme que la compétitivité canadienne est très menacée si nous ne nous ressaisissons pas et ne collaborons pas pour améliorer le positionnement de notre pays sur la question de la durabilité environnementale.

Le positionnement du Canada sur les changements climatiques est-il devenu une menace pour notre compétitivité? Pour répondre à cette question, il faut d’abord se demander à qui on fait le plus confiance : Larry Fink ou Jason Kenney, premier ministre de l’Alberta?

Le discours sévère du premier ministre Jason Kenney — et la propagande de 30 millions de dollars (fond pour période de crise) — n’a rien fait et ne fera rien pour encourager et attirer plus d’investissements au Canada. Au contraire, M. Kenney a nui aux investissements dans les entreprises canadiennes et a créé de l’incertitude en tournant le dos aux politiques mises en œuvre par le précédent gouvernement néodémocrate. Le gouvernement de Rachel Notley, avec ses solides politiques en matière de changements climatiques, mettait en œuvre des politiques visant à réduire l’empreinte carbone de l’extraction des ressources canadiennes et à aider les entreprises albertaines à réussir dans un monde en mutation.

Les changements climatiques constituent une crise pour notre planète et une menace évidente pour notre économie. Cela n’aurait jamais dû être une question partisane, mais certains politiciens ont décidé que jouer pour un avantage politique était tout simplement trop tentant. En conséquence, nous voyons certains hommes politiques continuer à se livrer à des jeux politiques à courte vue — et rester les bras croisés alors que le reste du monde, y compris les grandes entreprises et les grandes sociétés d’investissement, s’attaque au danger réel et actuel des changements climatiques.

Sans des politiques claires soutenues par des actions concrètes, nous condamnons nos entreprises à rattraper le reste du monde. En fait, notre manque d’action menace non seulement la compétitivité des entreprises canadiennes, mais aussi la réputation internationale de notre pays.

Et aucune propagande orwellienne provenant d’un « fond pour période de crise » de plusieurs millions de dollars ne peut changer cette réalité.

Kathleen Monk est partenaire à Earnscliffe, où les leaders canadiens ont confiance en sa capacité à traiter des enjeux complexes de stratégie publique, à élaborer des stratégies et à réunir divers intervenants pour raconter de véritables histoires de succès. Elle fait régulièrement partie du principal panel de commentateurs politiques The Insiders de l’émission The National de la CBC, et fournit des analyses dans le cadre de l’émission Power and Politics sur CBC News Network.