Que pensez-vous des résultats des élections fédérale et ce que cela pourrait signifier pour le secteur de l’énergie?

Par Tim Powers

Les élections de 2019 ont été mémorables à bien des égards. D’abord et avant tout, ce ne fut pas un coup de maître pour Justin Trudeau, bien au contraire. Un premier ministre qui, deux ans avant le vote, constituait une force politique irrépressible, a été réduit à un gouvernement minoritaire et aurait pu finir dans les rangs de l’opposition si le chef conservateur Andrew Scheer n’avait pas affiché un mauvais rendement.

Les rangs de l’opposition ont depuis été repeuplés par le Bloc québécois, un parti sur le point de s’éteindre en 2011 et qui a refait surface avec fracas lors de cette campagne. Il est passé de 10 sièges en 2015 à 32 en 2019 et a connu un excellent parcours. Le Bloc a obtenu l’appui de tous les partis et a pratiquement abandonné toute prétention d’être un partisan contemporain du séparatisme. Il s’agit d’un premier parti québécois qui s’aligne beaucoup sur les visées du gouvernement provincial de François Legault.

Il s’agissait d’une élection au cours de laquelle les partis dont le programme électoral préconisait des mesures plus énergiques pour lutter contre les changements climatiques ont obtenu plus de 63 % des votes. Bien qu’aucun parti n’ait obtenu cet appui à lui seul, la situation laisse entendre que le gouvernement Trudeau, en milieu minoritaire, sera encouragé à faire progresser davantage la politique environnementale plutôt que de prendre du recul par rapport à celle-ci. Les premières déclarations du nouveau gouvernement donnent également à penser que ce sera le cas, comme on le clamait récemment à la une : « pour M. Trudeau, le climat et les pipelines sont des priorités après les élections. »

« Il s’agissait d’une élection au cours de laquelle les partis dont le programme électoral préconisait des mesures plus énergiques pour lutter contre les changements climatiques ont obtenu plus de 63 % des votes »

Le message de M. Trudeau concernant une transition gérée des sources d’énergie dominantes actuelles, l’engagement continu à construire le pipeline TransMountain et le passage à un environnement à moins forte intensité de carbone n’est pas bien accueilli dans l’ensemble du Canada. Au cours des derniers mois, Jason Kenney, premier ministre de l’Alberta, a sans doute été l’adversaire le plus féroce de M. Trudeau. M. Kenney et le premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, se sont fait fort de rappeler au premier ministre et aux Canadiens que les secteurs des ressources sont importants. Les menacer, c’est se mettre en péril. Ce qui est ressorti de cette élection, donc, c’est l’image d’un pays plus fragmenté aujourd’hui qu’il ne l’a été en vingt ans.

Les libéraux ont été exclus des sièges en Alberta et en Saskatchewan. Tous les sièges de cette région, sauf un, sont allés aux conservateurs. Le message contre la taxe sur le carbone a gagné en popularité, tout comme le sentiment que le gouvernement Trudeau doit tenir compte du fait que s’il se précipite pour se recueillir sur la tombe du secteur pétrolier et gazier, il se retrouvera dans une véritable crise de l’unité nationale.

« Les libéraux ont été exclus des sièges en Alberta et en Saskatchewan. Tous les sièges de cette région, sauf un, sont allés aux conservateurs ».

En s’accrochant aux conservateurs, bon nombre de militants et de partisans du parti ont fini par se décourager parce qu’ils n’ont pas réussi à arracher la victoire à un Justin Trudeau vulnérable. Au lendemain des élections, on a demandé à Andrew Scheer de prendre les devants et de repenser en profondeur la politique des conservateurs face aux changements climatiques. L’ancien ministre conservateur de l’Environnement, John Baird, a été engagé pour effectuer un examen post-électoral approfondi.

Les gouvernements minoritaires canadiens durent habituellement entre 18 et 24 mois. Bouclez vos ceintures, la route promet d’être cahoteuse entre-temps!

Tim Powers est vice-président de Summa Strategies Canada ainsi que président d’Abacus Data, toutes deux ayant leur siège social à Ottawa. M. Powers est souvent invité à l’émission Power and Politics du réseau de télévision CBC, ainsi qu’à la chaîne VOCM de Terre-Neuve-et-Labrador, sa province d’origine.


Par Jason Clark

Les 43e élections du Canada se sont terminées par un résultat décisif : le gouvernement libéral actuel a remporté un nouveau mandat, mais avec un nombre de sièges réduit. Avec 157 sièges sur 338, les libéraux de Justin Trudeau forment maintenant un gouvernement minoritaire néanmoins fort. Entre-temps, le Parti conservateur demeurera l’opposition officielle avec ses 121 sièges, et le droit de se vanter d’avoir remporté le vote populaire. Comme aucun parti n’a l’avantage politique ou la position financière nécessaires pour déclencher des élections dans un proche avenir, la minorité libérale semble en sécurité et sera en mesure de gouverner avec confiance.

Même si rien ne semble avoir vraiment changé à la Chambre des communes, les intervenants – en particulier ceux du secteur pétrolier et gazier – devraient s’attendre à des changements, à la fois nuancés et évidents, dans leur travail avec le gouvernement. Bien qu’il existe un certain risque, l’industrie du gaz naturel a de grandes possibilités de collaborer avec un gouvernement libéral renouvelé.

« Les libéraux conservent le pouvoir avec un mandat renouvelé en matière de climat. »

– Jason Clark

Les libéraux ont promis le plan le plus ambitieux et le plus réalisable pour lutter contre les changements climatiques, réduire les émissions et faire croître l’économie. Et bien que les conservateurs aient obtenu le plus grand nombre de votes, la majorité des Canadiens ont voté pour un parti qui promettait de continuer à fixer le prix du carbone et de prendre d’autres mesures sur le plan climatique. M. Trudeau revient à Ottawa avec un mandat plus fort que jamais pour lutter contre les changements climatiques et un Parlement prêt à travailler avec lui pour en faire plus. Les Canadiens ont été clairs : ils se préoccupent des changements climatiques.

« Avec 157 sièges sur 338, les libéraux de Justin Trudeau forment maintenant un gouvernement minoritaire néanmoins fort ».

Une autre observation frappante des résultats des élections a été la division régionale : alors que les provinces de l’Atlantique, l’Ontario et, dans une certaine mesure, le Québec ont tous été magnanimes envers les libéraux, le parti au pouvoir n’a pas obtenu un seul siège en Alberta ou en Saskatchewan. Dans bien des cas, les conservateurs ont remporté des victoires écrasantes dans l’Ouest. Les électeurs de ces provinces étaient motivés par des préoccupations économiques, notamment le secteur des ressources naturelles qui alimente l’économie de la région. Ainsi, bien que M. Trudeau travaille avec ses alliés à l’action climatique dans le cadre de son prochain mandat, il doit aussi faire preuve d’une diligence accrue pour apaiser les préoccupations et les craintes des intervenants du secteur des ressources naturelles afin de combler cet écart évident.

« L’industrie du gaz naturel est particulièrement bien placée pour faire des percées à Ottawa ».

Pour cette raison, l’industrie du gaz naturel est particulièrement bien placée pour faire des percées à Ottawa. Le gaz naturel, combustible à faible intensité d’émissions, peut remplacer les combustibles à intensité énergétique plus élevée – comme le charbon – sur les marchés mondiaux, réduisant considérablement les émissions tout en contribuant à la croissance économique canadienne dans l’Ouest. De plus, l’engagement de l’industrie de la distribution du gaz à l’égard des technologies propres et de l’innovation, comme en témoigne la création du Fonds Gaz naturel financement innovation (FGNFI), et les appels politiques en faveur d’un soutien pour faire progresser le dossier des carburants rentables et des véhicules qui fonctionnent au gaz naturel, sont tous importants : ils se placent sous le signe du renouveau et sont axés sur le changement climatique. Le succès dépendra de la capacité de faire valoir ce point aux Canadiens et au gouvernement.

Dans les jours qui ont suivi les élections, le premier ministre s’est engagé à combler le fossé régional, en commençant par consulter les maires de Calgary et de Saskatoon et en nommant Anne McLellan (de l’Ouest) à son équipe de transition. La participation du nouveau Cabinet sera essentielle, et l’industrie devrait profiter de l’occasion pour souligner l’harmonisation des objectifs et collaborer avec le gouvernement à l’examen des questions de capacité des gazoducs afin de s’assurer que les produits puissent être acheminés vers les marchés internationaux. Grâce à une histoire convaincante qui allie l’économie et l’environnement, l’industrie du gaz naturel est bien placée pour gagner à sa cause les Canadiens et le gouvernement.

Jason Clark est conseiller principal chez Crestview Strategies. Il a travaillé à l’élaboration de politiques publiques et à des campagnes de défense et de mobilisation, dont tout récemment pour Ingénieurs sans frontières Canada. M. Clark a également œuvré auprès d’un large éventail d’organismes canadiens sans but lucratif sur des questions commerciales et de développement international à Ottawa. Soulignons qu’il a déjà géré l’une des plus importantes campagnes de mobilisation du public sur les changements climatiques, l’énergie et la durabilité en Grande-Bretagne.


Par Kathleen Monk

Les 43e élections générales du Canada se sont soldées par des résultats chimériques, certains gagnants ayant subi des dommages importants et des perdants se trouvant en meilleure posture qu’au tout début.

Même s’ils ont perdu des sièges, les néo-démocrates ont fait élire 24 députés, ce qui représente un bien meilleur résultat que ce que beaucoup prévoyaient. En fin de compte, les néo-démocrates ont évité un désastre, Jagmeet Singh a été largement salué pour sa performance électorale et ils ont remporté des sièges, avec des victoires sur les trois côtes canadiennes. Sans compter que le NPD a retardé la prise de pouvoir prévue par le Parti vert.

Et même si les libéraux ont gagné, ils ont un chef beaucoup moins populaire qu’avant la campagne, et ils ont été mis à l’écart partout dans les Prairies. En fait, seul le NPD a franchi la vague bleue des Prairies avec un seul siège à Edmonton. Pendant ce temps, les conservateurs ont amélioré leurs résultats de 2015, mais n’ont pas réussi à faire tomber un Parti libéral affaibli et n’ont pas fait de véritables percées dans les grandes villes du Canada.

« La nouvelle réalité d’un gouvernement minoritaire au Canada. »

– Kathleen Monk

Au sein de gouvernements minoritaires, les partis peuvent tirer profit de la mainmise qu’ils exercent sur les comités parlementaires pour susciter l’intérêt des médias et miser sur des questions particulières. L’opposition peut aussi rejeter les motions présentées à la Chambre pour mettre fin au débat.

Le nombre de sièges des néo-démocrates est suffisant pour faire adopter une loi, car ils ont encore une fois l’équilibre du pouvoir. C’est là une occasion que les néo-démocrates n’ont pas vue depuis que le NPD de Jack Layton s’est efforcé de naviguer pendant sept ans, entre 2004 et 2011, sous les gouvernements minoritaires libéraux et conservateurs. Maintenant, des pressions s’exercent carrément sur le NPD pour qu’il montre qu’il peut jouer un rôle similaire au sein de ce Parlement.

Certains prétendent qu’un gouvernement libéral minoritaire était le pire qu’il puisse advenir pour le secteur de l’énergie, mais ce n’est peut-être pas le cas. Comme M. Trudeau a exclu toute coalition officielle, les libéraux adopteront des mesures législatives au cas par cas. Ils pourraient conclure une entente avec le NPD pour faire adopter leur budget tout en continuant d’adopter une loi sur les pipelines avec l’appui des conservateurs. Il faut garder à l’esprit que traditionnellement, les deux partis qui votent le plus ensemble ne sont pas les libéraux et le NPD, mais bien les libéraux et les conservateurs.

« Historiquement parlant, lorsque des partis sont forcés de travailler ensemble, de bonnes choses peuvent être accomplies ».

Rappelez-vous que, lorsque Stephen Harper a été élu premier ministre et qu’il a formé un gouvernement minoritaire en 2006, il a conclu des ententes avec le Bloc pour faire adopter ses deux premiers budgets tout en travaillant avec le NPD à l’adoption de règles d’éthique plus strictes. Puis, au fur et à mesure que cette situation perdurait, M. Harper a adopté les budgets suivants avec l’aide des libéraux.

Ainsi, pour ceux qui tentent d’influencer la politique gouvernementale, un gouvernement minoritaire pose certainement de nouveaux défis – ceux qui s’occupent des relations gouvernementales auront certainement des feuilles d’appel plus longues. La situation offre de nouvelles possibilités positives, tant pour ce qui est de promouvoir des enjeux auprès des différents acteurs politiques sur la Colline que de travailler à l’atteinte d’un consensus public plus large.

Historiquement parlant, lorsque des partis sont forcés de travailler ensemble, de bonnes choses peuvent être accomplies – en font foi l’assurance-maladie, les pensions publiques et un plan national de logement abordable. Travailler épaule contre épaule n’est peut-être pas ce que les partis font toujours de mieux, mais c’est clairement le mandat que les Canadiens ont donné à tous les politiciens le 21 octobre.

Kathleen Monk est directrice à Earnscliffe, où les leaders canadiens ont confiance en sa capacité à traiter des enjeux complexes de stratégie publique, à élaborer des stratégies et à réunir divers intervenants pour raconter de véritables histoires de succès. Elle fait régulièrement partie du principal panel de commentateurs politiques The Insiders de l’émission The National de la CBC, et fournit des analyses dans le cadre de l’émission Power and Politics sur CBC News Network.