La nouvelle Stratégie canadienne pour les bâtiments verts s’écarte de la proposition d’interdiction du gaz naturel à prix abordable. Cela signifie-t-il que les partis politiques se positionnent au sujet de l’abordabilité de l’énergie?

La Stratégie canadienne pour les bâtiments verts – publiée en juillet 2024 – est conçue pour relever une étonnante combinaison de défis. Elle vise à la fois à stimuler la construction résidentielle, dont on a cruellement besoin, à remplacer les immeubles commerciaux et de bureaux vieillissants et énergivores, à lutter contre les changements climatiques, à encourager la transition vers une énergie propre au Canada et, d’une manière ou d’une autre, à atténuer les problèmes d’abordabilité.
Pour une stratégie, c’est beaucoup demander.
Cependant, stimulé par le succès des subventions fédérales qui ont permis à plus de 160 000 ménages à passer à des thermopompes, le plan du gouvernement tire son épingle du jeu. La stratégie repose sur un nouveau programme plus vaste de 800 millions de dollars, soit le Programme canadien pour des maisons abordables plus vertes, qui appuiera davantage les efforts de transition abordables. Sur le plan politique, l’objectif est de créer une dynamique « gagnant-gagnant » en contribuant à réduire à la fois les coûts énergétiques et les émissions.
Pour tous les programmes, prêts, subventions et incitations prévus, l’une des décisions pratiques les plus importantes est le fait que la stratégie ne prévoie pas « une interdiction du gaz naturel ». En fait, en mentionnant le gaz naturel renouvelable – ou GNR – dans sa liste de technologies propres reconnues, la Stratégie marque une étape d’une importance vitale pour l’industrie. Cette étape représente, en fait, une invitation à accélérer et à démontrer la viabilité à plus grande échelle du GNR en tant que solution énergétique propre.
L’inclusion du GNR s’explique en partie par ses mérites. La science est fiable. Les résultats sont encourageants. Toutefois, l’absence d’interdiction pure et simple du gaz naturel signale également un changement très important dans les politiques visant le climat et l’énergie. L’opinion publique a puni les libéraux fédéraux au cours de l’année écoulée. Avec la hausse de l’inflation, les difficultés financières se sont intensifiées pour de nombreuses familles. L’effet cumulatif de la taxe carbone sur les consommateurs a aggravé la situation pour le gouvernement fédéral, alimentant littéralement la désaffection et le mécontentement.
Dans ce contexte, nous constatons que l’abordabilité prend de plus en plus d’importance dans des politiques telles que la Stratégie canadienne pour les bâtiments verts. Ce phénomène ne se limite pas au domaine fédéral. La Ville de Vancouver a récemment annulé sa propre interdiction d’utiliser le gaz naturel dans les maisons nouvellement construites.
Cette tendance ne signifie pas un retrait complet de l’action climatique et de la transition vers l’énergie propre au niveau fédéral. Tous les partis continueront à trouver des moyens de se présenter comme les champions de la réduction des émissions, alors même qu’ils ont du mal à mieux soutenir les familles en difficulté. De leur côté, les opposants continueront à faire pression sur le gouvernement pour décourager l’utilisation du gaz naturel.

Les sceptiques n’hésiteront pas à dénigrer cette technologie. Ils s’y opposeront pour des raisons philosophiques et idéologiques. Cela pourrait faire réfléchir certains acteurs politiques. Mais ne vous y trompez pas, les dirigeants politiques voudront que le GNR fonctionne. Franchement, ils en ont besoin. La recherche de solutions de rechange plus propres et concurrentielles est tout simplement trop intense pour qu’il en soit autrement. Il incombe donc à l’industrie de mettre en valeur toutes les qualités du GNR et de démontrer qu’il peut être déployé à plus grande échelle et en plus grand volume.
Scott Reid a été directeur des communications de l’ancien premier ministre Paul Martin, et est le cofondateur de Feschuk.Reid.

Des inondations, des incendies, des sécheresses et d’autres phénomènes météorologiques extrêmes observés d’un océan à l’autre font en sorte que nous assistons de plus en plus à la destruction dévastatrice des lieux dont nous avons pu profiter des attraits ou qui font partie de nos listes d’endroits à visiter. Bien que l’impact puisse varier en fonction du lieu et du type de désastre, les conséquences visibles des changements climatiques font qu’une chose est certaine : l’inaction climatique n’est plus un choix.
Les Canadiens comprennent l’importance de protéger l’environnement pour les générations à venir et, au cours des dernières années, ils ont exprimé la nécessité pour les gouvernements de prendre des mesures en vue d’éviter les pires répercussions des changements climatiques. En conséquence, depuis son élection en 2015, le gouvernement fédéral a exposé son ambitieux programme environnemental – allant de l’abandon progressif des centrales au charbon traditionnelles à l’adoption de sources d’énergie renouvelables, en passant par l’élaboration d’une règlementation sur l’électricité propre.
Toutefois, cet ambitieux programme est aussi complexe. En effet, les vastes ressources naturelles du Canada nous donnent l’occasion d’être un leader mondial, mais l’ensemble des politiques et des programmes adoptés par le gouvernement a créé une grande confusion dans l’industrie et a fait du Canada un marché moins attrayant pour les investissements. Les entreprises ont besoin que les gouvernements créent des conditions stables et prévisibles pour exercer leurs activités. De leur côté, les gouvernements ont besoin d’investissements privés plus importants pour le développement et l’adoption de technologies propres afin d’aider l’industrie à devenir plus durable et à réduire les émissions.
En outre, la population s’attend à ce que les gouvernements et les intervenants de l’industrie collaborent dans cette transition vers une économie plus propre. Quoi qu’il en soit, l’abordabilité est au cœur des préoccupations actuelles de tous les Canadiens. À mesure que la pression sur leur portefeuille augmente, les préoccupations des Canadiens au sujet du coût de la vie s’accroissent, alors que celles pour l’environnement diminuent. C’est particulièrement le cas de ceux qui vivent dans des maisons plus vieilles dotées de fenêtres fuyantes et de systèmes de chauffage et de refroidissement inefficaces, et qui constatent que ces problèmes se reflètent clairement sur leurs factures d’énergie.
À l’heure actuelle, les Canadiens ont besoin d’être rassurés sur le fait qu’ils seront en mesure de payer leurs factures d’énergie pour chauffer leur maison pendant les hivers froids, et qu’ils pourront faire le plein de leur véhicule pour se rendre au travail ou à l’école. À mesure que l’économie se redressera et que les problèmes d’abordabilité s’estomperont, les Canadiens attendront de leur gouvernement qu’il facilite leur propre transition vers un mode de vie plus respectueux de l’environnement, qu’il s’agisse de leur maison ou du type de voiture qu’ils conduisent.
Entre-temps, une politique orientée vers le client est nécessaire pour répondre aux préoccupations en matière d’abordabilité et ouvrir la voie aux efforts de durabilité. En particulier pendant les mois d’hiver, les Canadiens ne doivent pas être confrontés à la question de savoir s’ils doivent payer leur facture d’énergie pour chauffer leur maison ou payer leurs courses pour nourrir leur famille. Dans un pays aussi vaste et diversifié que le Canada, une approche unique est rarement la solution. Les politiques énergétiques doivent tenir compte des besoins et des particularités de chaque région, mais surtout, elles doivent répondre aux principales préoccupations des Canadiens.
« Quoi qu’il en soit, l’abordabilité est au cœur des préoccupations actuelles de tous les Canadiens. »
L’exemption de trois ans de la taxe carbone sur le mazout domestique dans les provinces de l’Atlantique, annoncée à l’automne, est un premier pas dans la bonne direction. Bien qu’elle ait été critiquée par les groupes de défense de l’environnement, cette exemption permet aux Canadiens d’éliminer progressivement le mazout domestique dans un délai plus réaliste. Un autre pas a été franchi avec l’adoption de la Stratégie canadienne pour les bâtiments verts. Cette stratégie fournit une feuille de route pour la rénovation et l’amélioration des habitations et autres bâtiments dans tout le pays. Il s’agit là d’efforts considérables pour répondre aux préoccupations en matière d’abordabilité et de durabilité. Plus important encore, ces exemples montrent que le gouvernement est toujours capable d’écouter les Canadiens.
Pour beaucoup, l’abordabilité et la durabilité peuvent sembler être des concepts contradictoires, mais lorsqu’on les envisage dans une perspective orientée vers le client, il devient évident que les deux sont en fait imbriqués. À l’approche des élections, le défi pour les partis politiques consiste à trouver le bon équilibre entre les efforts de durabilité et les mesures d’abordabilité. En fin de compte, les Canadiens sont pragmatiques et soutiendront le parti qui peut traduire ses politiques en un soulagement tangible pour leur portefeuille, et ce, rapidement.
Laila Hawrylyshyn est consultante chez Crestview Strategy. Elle jette des ponts entre les acteurs de l’industrie et les gouvernements afin de collaborer à l’élaboration et à l’amélioration des politiques publiques. Basée au bureau d’Ottawa, Mme Hawrylyshyn se concentre sur les dossiers réglementaires volumineux dans les domaines du transport et de l’énergie.

Concilier l’action climatique et le coût de l’énergie
La Stratégie canadienne pour les bâtiments verts récemment annoncée a relancé le débat sur la conciliation entre l’action climatique et l’abordabilité énergétique. Malgré les premières informations, il n’y a jamais eu de plan concret pour interdire le gaz naturel dans les nouveaux bâtiments fédéraux. La Stratégie reconnaît plutôt un fait crucial : le gaz naturel n’est pas compatible avec les objectifs de carboneutralité. Cette reconnaissance ouvre la voie à une approche plus nuancée de la politique énergétique.
La perception voulant que le gaz naturel soit la solution de chauffage la plus abordable fait l’objet d’un examen approfondi. Contrairement à la croyance populaire, le gaz naturel n’est pas automatiquement abordable. Les thermopompes, autrefois considérées comme ne convenant qu’aux climats plus doux, gagnent du terrain. Le rapport briseur de mythes d’Efficacité énergétique Canada (en anglais) remet en question des croyances de longue date en laissant entendre que ces systèmes électriques peuvent rivaliser avec les fournaises au gaz, voire les surpasser, en termes de rentabilité, lorsqu’ils sont correctement installés.
À l’approche des élections fédérales de 2025, les partis politiques révisent leurs politiques énergétiques. Nous pourrions bientôt voir des plateformes visant à respecter les engagements environnementaux sans s’appuyer lourdement sur la tarification du carbone. Une proposition clé qui fait son chemin repose sur la vision selon laquelle les systèmes hybrides (gaz-électricité) devraient être la norme minimale pour les nouvelles installations. Cette approche reconnaît que, bien que nous devions nous éloigner de la dépendance totale au gaz naturel, un changement progressif peut être plus pratique et économiquement viable.
Il convient de noter que même les fournaises au gaz naturel traditionnelles ont besoin d’électricité pour fonctionner. Cette dépendance à l’égard de l’électricité met en évidence l’interconnexion de nos systèmes énergétiques et le potentiel d’une transition plus harmonieuse vers des solutions de chauffage plus électriques.
Les services publics du Québec ont mis au point un plan « bi-énergie » innovant pour réduire la consommation de gaz naturel sans aliéner le secteur gazier, en combinant des incitations gouvernementales pour les thermopompes électriques avec un rôle continu pour le gaz naturel dans les bâtiments. Cette approche de collaboration entre Énergir (une compagnie de gaz) et Hydro-Québec (une compagnie d’électricité) offre un modèle potentiel pour d’autres – en visant à réduire les émissions pendant les pics de chauffage en hiver sans compromettre la fiabilité ou l’abordabilité.

Ce type de modèle hybride pourrait inspirer la politique fédérale et aider les entreprises gazières à se repositionner dans un paysage énergétique en mutation. Surtout, il démontre qu’il est important d’inciter les entreprises de services publics à trouver des moyens de passer du gaz naturel à l’électricité sans causer de perturbations financières excessives.
Les discussions futures porteront probablement sur la promotion de systèmes de chauffage électrique efficaces, le développement de réseaux d’énergie plus intelligents et le soutien à la transition de l’industrie gazière. L’accent sera mis sur la préservation de l’abordabilité de l’énergie pour tous les Canadiens, en particulier dans les régions où les hivers sont rudes ou les étés chauds, tout en progressant régulièrement vers la carboneutralité.
Le paysage énergétique évolue, et les derniers développements de la Stratégie canadienne pour les bâtiments verts d’Ottawa reflètent ce changement dynamique. Alors que le débat sur les objectifs climatiques et l’énergie abordable se poursuit, tous les regards seront tournés vers la manière dont le Canada naviguera sur ce terrain complexe dans les années à venir, en conciliant le besoin d’une énergie plus propre avec les réalités de l’abordabilité et de l’infrastructure existante.
Kathleen Monk est propriétaire principale de Monk + Associates, une société indépendante d’affaires publiques. Elle apparaît régulièrement à l’émission Power and Politics du réseau CBC News et siège au conseil d’administration de CIVIX, un organisme de bienfaisance non partisan qui se consacre à la formation de citoyens engagés.