Le projet de loi original du président Biden intitulé « Build Back Better » (reconstruire en mieux) et un programme distinct d’infrastructure proposaient des visions opposées du rôle que le gaz naturel devrait jouer dans l’avenir énergétique des États-Unis. Pour l’industrie américaine du gaz naturel, la version la plus douce semble l’avoir emporté — du moins pour l’instant.
Lorsque le président américain Joe Biden s’est rendu en Écosse pour prendre part à la conférence sur le climat COP26 il y a quelques semaines, il avait encore en tête une destination précise pour le cheminement de l’Amérique vers un avenir énergétique propre : un secteur de l’électricité sans pollution par le carbone d’ici 2035 et une économie à émissions nettes nulles d’ici 2050.
Toutefois, la feuille de route dont il a pu faire part au sommet de Glasgow — c’est-à-dire les détails sur la façon dont les États-Unis vont y parvenir — a montré un trajet moins direct vers ces objectifs après des semaines de querelles sur son énorme projet de loi « Build Back Better » rempli de dispositions hostiles aux intérêts du gaz naturel américain.
Pire encore pour la président Biden, l’impasse prolongée entre les démocrates progressistes et modérés du Congrès avait également entraîné le blocage d’un programme d’infrastructures bipartisan 1,2 billion de dollars qui avait été approuvé par le Sénat l’été dernier et qui comprenait de nombreuses propositions climatiques vues d’un bon œil par l’industrie.
Malgré son scénario inquiétant, les défenseurs de l’industrie américaine du gaz naturel qui ont suivi le déroulement de ce « téléroman » affirment que les propositions sur le changement climatique des deux projets de loi qui semblaient avoir des chances de survivre représentent au moins une victoire partielle en faveur de la vision de l’industrie en tant qu’acteur essentiel dans le cheminement vers un paysage énergétique plus propre.
La version définitive de Build Back Better se chiffre environ à la moitié du montant du projet de loi initial de 3,5 billions de dollars, et on y a supprimé les dispositions climatiques les plus préoccupantes — celles qui soutenaient la vision des progressistes axée sur une transition rapide vers un avenir énergétique entièrement électrique et des réductions rapides et spectaculaires de la consommation de gaz naturel.
À la fin du mois d’octobre, il restait environ 555 milliards de dollars dans le budget des démocrates pour des mesures d’incitation visant à encourager l’utilisation des voitures électriques, à sevrer les services publics des combustibles fossiles, à étendre l’utilisation de l’énergie renouvelable résidentielle, à améliorer le réseau électrique et à soutenir la fabrication d’énergie propre.
Malgré l’élimination de dispositions clés, les mesures qui ont survécu représentent de loin le plus grand investissement jamais réalisé par les États-Unis dans la lutte contre le changement climatique. La responsable du climat du président Biden, Gina McCarthy, insiste sur le fait que les États-Unis peuvent encore atteindre leurs objectifs en matière d’émissions grâce à ces mesures et à l’action de l’exécutif.
« L’électrification dictée par la politique »
Bien qu’il ait été amputé, le projet de loi Build Back Better contient plusieurs initiatives climatiques qui favorisent les énergies renouvelables au détriment du gaz naturel et qui font avancer l’objectif d’une « électrification dictée par la politique », a déclaré Kristen Granier, directrice principale des affaires gouvernementales et de la politique publique de l’American Gas Association (AGA).
Néanmoins, les défenseurs de l’industrie du gaz naturel peuvent pousser un soupir de soulagement après la disparition du programme de rendement de l’électricité propre (Clean Electricity Performance Program, ou PREP) de 150 milliards de dollars, qui aurait entraîné une hausse annuelle de plus de 400 % du financement des services publics qui accroissent la production d’énergie propre et la pénalisation de ceux qui n’y arrivent pas.
Le PREP était la pièce maîtresse du plan climatique initial du président Biden, et sa mise de côté est principalement attribuable à la marge très étroite des démocrates au Congrès, qui a placé le sénateur américain Joe Manchin, de la Virginie-Occidentale (riche en charbon et en gaz), dans une position d’influence extraordinaire en ce qui a trait au plan de dépenses.
M. Manchin, président de la commission sénatoriale de l’énergie et des ressources naturelles, a clairement indiqué dès le début qu’il était intéressé par une transition ordonnée vers une énergie propre qui ne sacrifie pas la fiabilité et l’abordabilité de l’énergie, et par des politiques qui « stimulent l’innovation, et non l’élimination » [traduction] des solutions énergétiques possibles.
Faisant remarquer que les services publics et d’autres grands utilisateurs d’énergie font déjà des progrès en matière de réduction des émissions, il a vivement critiqué le PREP, en soulignant qu’il n’était pas logique de « payer les services publics pour faire ce qu’ils vont faire de toute façon » [traduction].
Ces mots ont sans doute rendu populaire M. Manchin auprès des habitants de la Virginie-Occidentale, le deuxième plus important État américain producteur de charbon, où 91 % de l’électricité provenait de centrales au charbon en 2020, par rapport à moins de 20 % à l’échelle nationale. Le PREP aurait donc coûté cher à cet État.
Et bien que seulement 3 % de l’électricité de la Virginie-Occidentale soit produite à partir de gaz naturel, l’État se classe au quatrième rang des 50 États pour ce qui est des réserves de gaz naturel et était sixième dans la production de gaz de schiste en 2019.
Bien au fait de ces réalités, M. Manchin a saisi l’occasion de faire l’éloge du combustible fossile le plus propre lors d’une récente audition en commission. M. Manchin a alors déclaré : « Nous devons remercier le gaz naturel pour la part du lion qu’il a occupé dans la décarbonisation que nous avons observée dans le secteur de l’énergie au cours des 20 dernières années. » [Traduction]
Aller de l’avant avec l’hydrogène
Pendant la diffusion du « téléroman » Build Back Better, les partisans de l’industrie du gaz naturel ont trouvé beaucoup à aimer dans le projet de loi sur l’infrastructure d’un billion de dollars qui a été adopté par le Sénat en août et qui avait été pris en otage par les progressistes jusqu’à ce que l’on puisse en arriver à un accord à propos du plan de dépenses.
Les dispositions à l’égard de la recherche, du développement et du déploiement en matière d’hydrogène comme source d’énergie future sont de loin les caractéristiques les plus prometteuses du projet de loi pour l’AGA et d’autres groupes commerciaux de l’industrie, y compris l’Interstate Natural Gas Association of America (INGAA).
L’une des pièces maîtresses de la section du projet de loi consacrée à l’hydrogène consiste en un programme de plusieurs milliards de dollars visant à stimuler le développement de plateformes d’hydrogène, qui pourrait contribuer à résoudre le problème de l’œuf et de la poule, à savoir l’impossibilité de créer une demande pour un produit tant que l’infrastructure pour le livrer n’existe pas, a déclaré C.J. Osman, vice-président des affaires gouvernementales de l’INGAA.
« Il s’agit d’un investissement assez important dans la mise en place d’un marché de l’hydrogène, voire d’une économie de l’hydrogène aux États-Unis, ce qui a été défendu par le sénateur Manchin et d’autres membres du Congrès des deux côtés de la Chambre, a déclaré M. Osman. L’hydrogène suscite beaucoup d’intérêt, mais il faut mettre en place l’infrastructure qui le soutient avant de pouvoir réellement créer le marché et la véritable demande d’hydrogène. Si vous n’avez pas d’infrastructure d’approvisionnement efficace, il n’y aura pas assez de demande pour le produit pour justifier des investissements supplémentaires, et vous êtes en quelque sorte coincé dans ce cycle. » [Traduction]
Grâce en grande partie au plaidoyer de l’AGA, de l’INGAA et d’autres partenaires, la section du projet de loi consacrée à l’hydrogène inclut tout le spectre de couleurs de l’hydrogène, du gris au vert, et reconnaît le rôle potentiel clé que l’infrastructure existante du gaz naturel pourrait jouer dans le transport de l’hydrogène. Les défenseurs ont également travaillé à s’assurer qu’une partie de l’argent prévu pour la recherche et le développement sur l’hydrogène soit affectée à la cuisson des aliments, au chauffage des bâtiments et à d’autres utilisations finales commerciales et résidentielles.
« Nous disposons de 2,6 millions de kilomètres de pipelines, et il n’y a aucune raison de ne pas les utiliser, qu’il s’agisse de gaz naturel, de GNR ou d’hydrogène. L’infrastructure est déjà en place et elle alimente actuellement 180 millions d’Américains et 5,5 millions d’entreprises, a déclaré George Lowe, vice-président des affaires gouvernementales et de la politique publique, à l’AGA. Il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions pas innover afin de continuer à utiliser cette énergie, tant que les gens ont l’esprit ouvert à ses aspects positifs, et c’est l’une des grandes batailles que nous devons livrer, tout en travaillant avec des gens qui croient que l’éolien et le solaire sont les seules solutions à nos besoins énergétiques. » [Traduction]
Les membres de l’INGAA sont également très intéressés à positionner leurs pipelines interétatiques comme la solution pour acheminer l’hydrogène aux utilisateurs finaux à partir de plaque tournante, qui seraient probablement situées dans des bassins de schiste, où des réserves abondantes de gaz naturel pourraient être utilisées pour produire de l’hydrogène bleu. Ces plaques tournantes d’hydrogène pourraient également être situées près de parcs éoliens et/ou solaires à grande échelle, où l’énergie renouvelable pourrait être convertie en hydrogène vert.
« Cela nous intéresse beaucoup à moyen et à long terme, car nous réfléchissons à la manière dont nous pouvons continuer à utiliser notre infrastructure pour transporter tous les produits énergétiques que nos clients recherchent pour l’avenir » [traduction], a déclaré M. Osman.
D’autres victoires pour le gaz naturel au sein du programme d’infrastructures comprennent un langage neutre en termes de combustibles, demandé par l’AGA pour faire en sorte que l’équipement au gaz naturel soit admissible aux subventions d’efficacité énergétique et que le gaz naturel, le propane et l’hydrogène fasse partie d’un volet visant à fournir des subventions pour l’infrastructure de chargement et de ravitaillement. Les défenseurs de l’industrie ont également travaillé à s’assurer que les programmes de prêts pour l’efficacité énergétique reconnaissent l’efficacité du « cycle complet du combustible » du gaz naturel (de l’extraction à l’utilisation finale) plutôt que d’utiliser une mesure de l’efficacité au site d’utilisation finale uniquement. Ajoutons qu’une augmentation significative du financement de 500 millions de dollars sur cinq ans pour le programme d’aide à l’énergie domestique pour les foyers à faible revenu (Low Income Home Energy Assistance Program) est également prévue dans le projet de loi.
« Ces volets liés à l’hydrogène et à l’efficacité énergétique font certainement ressortir la nécessité de continuer à utiliser le gaz naturel au sein de notre paysage énergétique ainsi qu’à miser sur les moyens innovants pour décarboniser, a déclaré M. Granier. Bon nombre de nos entreprises membres sont très enthousiastes à l’égard de l’hydrogène et du GNR en ce moment et voient leurs objectifs de carboneutralité et leurs mesures de décarbonisation à travers d’une lentille axée sur l’utilisation et l’intégration maximales du GNR et de l’hydrogène. » [Traduction]
Le projet de taxation des émissions de méthane est remis en question
Une autre disposition de la proposition initiale de Build Back Better qui préoccupait l’industrie était la taxe envisagée de 1 500 $ par tonne d’émissions de méthane. Bien que cette disposition ait été supprimée du projet de loi, certains indices laissent penser qu’un mélange de carottes et de bâtons pour réduire les émissions apparaîtra dans le projet de loi final.
Les détracteurs de la disposition originale, dont l’AGA et l’INGAA, ont déclaré qu’une telle taxe ferait reculer davantage de consommateurs au « niveau de pauvreté énergétique » en augmentant les factures de gaz naturel de 12 % en moyenne, soit environ 85 $ par an. Et c’est inutile d’en arriver là, disent-ils.
La proposition était vague sur la manière dont la taxe serait prélevée, mais comme 70 % de l’énergie consommée aux États-Unis provient du pétrole ou du gaz, la taxe aurait été onéreuse, a déclaré Edward Hild, un membre principal du groupe sur les pratiques en matière de relations gouvernementales chez Buchanan Ingersoll & Rooney PC, à Washington.
« Les entreprises de gaz naturel prennent déjà volontairement des mesures pour réduire les émissions de méthane, alors pourquoi leur imposer cette taxe punitive d’une manière mal définie qui pourrait avoir des impacts très punitifs sur le client » [traduction], a déclaré M. Hild.
Ce fardeau supplémentaire imposé aux clients viendrait s’ajouter aux coûts associés aux mandats actuels de réduction des émissions de l’Environmental Protection Agency et de la Pipeline and Hazardous Materials Safety Administration — des mandats que l’INGAA a soutenus, souligne M. Osman.
« Nous sommes préoccupés par le fait que vous parlez de deux programmes faisant double emploi qui vont prendre des ressources et nécessiter des dépenses, a déclaré M. Osman. En fin de compte, cela va se répercuter sur les familles et les entreprises qui comptent sur nous pour le service de gaz naturel. » [Traduction]
Rôle ignoré dans la résilience globale
Les observateurs de l’industrie s’inquiètent du fait que les dispositions climatiques du projet de loi Build Back Better, soit celles qui ont survécu aux dernières modifications et même celles qui n’y sont pas parvenues, représentent une continuation de l’assaut total contre le gaz naturel en faveur d’un passage à l’électrification à l’aide des énergies renouvelables.
Une transition trop rapide vers les énergies renouvelables aura un prix élevé, disent-ils, rendant l’ensemble du réseau énergétique américain moins fiable, moins abordable et moins résilient aux conditions météorologiques extrêmes et à d’autres chocs dans l’ensemble du réseau énergétique.
De plus, cette transition ne tient pas du tout compte du rôle essentiel que le gaz naturel peut jouer en tant que source d’énergie fiable pour soutenir les sources intermittentes comme les énergies éolienne et solaire, jusqu’au jour — s’il arrive et quand il arrivera — où les problèmes de stockage d’énergie et de chaîne d’approvisionnement qui entravent actuellement les énergies renouvelables seront résolus.
Pour sa part, M. Hild est sceptique quant à la vitesse à laquelle la transition vers les énergies renouvelables pourra être réalisée. Il cite la récente étude du département américain de l’Énergie (DOE) affirmant que l’énergie solaire pourrait répondre à 40 % des besoins énergétiques des États-Unis d’ici 2035.
« Nous en sommes à 3 % en ce moment, a déclaré M. Hild. Pour passer de 3 à 40 %, cela nécessitera une ascension épique durant laquelle tout devra très bien se passer. Et on sait que ce n’est jamais le cas. » [Traduction]
M. Osman craint que l’électrification dictée par la politique ne laisse l’Amérique confrontée aux pénuries d’énergie et à la flambée des prix qui ont frappé l’Europe à la suite de sa poussée vers les énergies renouvelables. Il s’inquiète du fait que le boom du schiste américain ait laissé les consommateurs croire que l’énergie sera toujours bon marché et abondante.
« Lorsque l’énergie est abordable et fiable, il n’est pas surprenant que les gens supposent que la transition vers d’autres sources d’énergie alternatives sera facile, et que parce que l’énergie est abordable et fiable aujourd’hui, elle le restera, a déclaré M. Osman. Nous sommes préoccupés par le fait que si nous ne faisons pas notre travail en articulant le rôle fondamental du gaz naturel et de l’infrastructure du gaz naturel, nous allons alors être confrontés à de véritables défis dans notre pays à l’avenir en ne pouvant pas respecter le standard auquel les gens sont habitués. » [Traduction]
« Lorsque l’énergie est abordable et fiable, il n’est pas surprenant que les gens supposent que la transition vers d’autres sources d’énergie alternatives sera facile, et que parce que l’énergie est abordable et fiable aujourd’hui, elle le restera ». – C.J. Osman, vice-président des affaires gouvernementales de l’INGAA
David Coburn est un penseur stratégique, un écrivain, un expert en relations avec les médias et un consultant en communication qui s’appuie sur plus de 30 ans d’expérience en journalisme imprimé et en relations publiques d’agences.