En juin dernier, des représentants de l’industrie du gaz du monde entier se sont réunis à Washington, DC pour la 27e Conférence mondiale sur le gaz. Pendant mon séjour, j’ai eu l’occasion de rencontrer l’ingénieur Khaled Abu Bakr, Président exécutif de TAQA Arabia, Président de l’Association égyptienne du gaz et Coordinateur régional pour le Moyen-Orient et l’Afrique de l’Union internationale du gaz (IGU). Nous avons discuté de l’état du secteur du gaz naturel en Égypte et dans les deux régions qu’il surveille pour l’IGU. Voici un extrait de notre conversation.
Tim : Quel rôle le gaz naturel joue-t-il dans le mix énergétique de votre pays et au Moyen-Orient/en Afrique?
Khaled : En 1989-1990, j’ai obtenu ma maîtrise au Canada. Ma thèse de fin d’études à l’Université de Montréal portait sur le gaz naturel en remplacement du mazout sur le marché égyptien. À l’époque, j’avais deux scénarios, un de niveau inférieur et un de niveau supérieur pour la consommation future de gaz naturel. Le cas inférieur estimait l’utilisation de gaz naturel à environ 6 milliards de mètres cubes par année, et le cas supérieur à 14 milliards de mètres cubes par année. Aujourd’hui, l’Égypte consomme 62 milliards de mètres cubes par année, soit près de cinq fois plus que ma prévision initiale. Aujourd’hui, le gaz représente 55 % des besoins énergétiques primaires de l’Égypte. Quatre-vingt-onze pour cent de la production d’électricité est assuré par le gaz. Cela montre vraiment l’importance de l’industrie gazière en Égypte!
Tim : Comment c’est arrivé si vite?
Khaled : Au fil des ans, nous avons travaillé avec le gouvernement et d’autres intervenants pour installer des gazoducs adéquats, pour tout faire entretenir, pour établir de bonnes relations avec les consommateurs et l’industrie, pour commercialiser et promouvoir le gaz naturel comme la solution énergétique la plus propre, fiable et durable qui soit. Nous savions que nous devions disposer du financement, de l’infrastructure et de l’orientation nécessaires avec le milieu des affaires et les intervenants éventuels, afin de nous établir efficacement. Le fait d’avoir un gouvernement et d’autres institutions qui soutiennent notre industrie a contribué à stimuler l’utilisation du gaz naturel dans la région.
Tim : Est-il juste de dire que la situation est la même au Moyen-Orient et en Afrique?
Khaled : Je supervise deux régions, le Moyen-Orient et l’Afrique, et elles fonctionnent de manière totalement distincte. Le Moyen-Orient est riche en pétrole et en gaz naturel, mais historiquement dépendant du pétrole. Cependant, le gaz naturel devient de plus en plus le combustible de choix. Par exemple, des pays du Moyen-Orient comme le Koweït, Dubaï et Abou Dhabi cherchent à passer à une production d’électricité mixte, le gaz naturel étant la source principale.
L’Afrique est un peu différente parce qu’il n’y a que quelques pays producteurs, comme le Nigéria, l’Algérie et l’Égypte. L’Algérie et l’Égypte ont adopté des politiques qui privilégient l’utilisation du gaz naturel produit dans la région. Le Nigéria, en revanche, a historiquement exporté la majeure partie du gaz naturel qu’il produit. Au cours des cinq ou six dernières années, cependant, nous avons assisté à d’importantes réformes politiques et nous avons davantage parlé d’efficacité énergétique et, avec elle, d’utilisation du gaz. Aujourd’hui, le Nigéria utilise de plus en plus son gaz naturel à des fins domestiques.
Tim : On dirait qu’il y a une appréciation croissante de l’opportunité du gaz naturel dans la région. Quels sont les défis? La croissance a été assez extraordinaire, mais vous attendez-vous à ce qu’elle se poursuive avec les défis auxquels l’industrie est actuellement confrontée?
Khaled : Nous avons été témoins de certains défis parce que notre marché est principalement détenu par l’État. Les organismes de réglementation ne sont pas non plus indépendants. Lorsque le marché fluctue, quelqu’un doit en subir les conséquences, alors c’est soit le gouvernement, soit le consommateur qui en subit les conséquences, ce qui n’est pas idéal, mais cela arrive. Les fluctuations de prix auxquelles nous avons assisté au cours des cinq dernières années – de 120 $ le baril de pétrole à 28 $ le baril – ont également eu des répercussions sur le prix du gaz naturel. La fluctuation du prix du gaz naturel a eu une incidence sur notre produit de base et, par conséquent, sur le coût de la vie des consommateurs et sur le coût des affaires. Cela dit, nous développons davantage de systèmes pour que notre marché local concorde mieux avec les prix internationaux. Notre deuxième défi est externe. De plus en plus, les politiques mondiales entourant les questions environnementales influent inutilement sur notre marché et la façon dont les gens perçoivent notre industrie. Les consommateurs veulent avoir accès au gaz naturel parce qu’il est abordable et fiable et qu’il offre une meilleure qualité de vie. Cependant, de nouvelles politiques environnementales mondiales influent sur le secteur du gaz naturel. En tant qu’industrie, nous devons prendre nos responsabilités et nous positionner face à ces nouvelles tendances mondiales. Bien sûr, nos sociétés voudraient améliorer l’environnement et la qualité de vie en général. Mais nous ne croyons pas que la conscience environnementale implique de se priver de la croissance économique et de l’extraordinaire proposition de valeur des sources d’énergie comme le gaz naturel. Nous voulons encourager la consommation d’énergie d’une manière respectueuse de l’environnement, tout en maintenant nos possibilités économiques. Je crois qu’il est nécessaire pour nous de nous positionner, nous et notre produit, localement et internationalement, en mettant en valeur les avantages du gaz naturel et son impact positif sur les consommateurs et la société dans son ensemble.
Tim : Vous avez mentionné le fait qu’il existe des politiques mondiales qui semblent indiquer que la proposition de valeur pour l’essence n’est pas appréciée. Ces politiques sont souvent environnementales, comme vous l’avez dit. Y a-t-il de l’opposition à l’échelle nationale, ou s’agit-il principalement d’un auditoire international – l’Europe ou l’Amérique du Nord – qui arrive sur votre marché?
Khaled : Ce ne sont pas tant les pressions sur l’environnement que nous voyons, mais plutôt les pressions en faveur de l’utilisation d’énergies de rechange. Pour être franc, dans bien des cas, les gens préconisent l’utilisation de technologies de remplacement (comme l’énergie solaire ou éolienne) et ils s’opposent au gaz naturel. Il y a beaucoup de désinformation au sujet des attributs du gaz naturel. À cette fin, nous devons nous tenir debout et bien communiquer l’importance et la proposition de valeur de notre produit, ainsi que les avantages que le gaz naturel apporte dans nos vies. Notre énergie doit être considérée comme viable en soi et comme un partenaire durable pour les autres sources d’énergie renouvelables.
Tim : L’Afrique est une région qui est sur le point de connaître un développement économique spectaculaire, semblable à celui que nous avons connu dans certaines régions d’Asie. Quel est le lien entre la pauvreté énergétique et le gaz naturel?
Khaled : C’est une question très importante. Au cours des 15 dernières années environ, de nombreuses régions d’Afrique ont commencé à sortir de la pauvreté. Comparée au reste du monde, la classe moyenne africaine connaît la croissance la plus rapide. Les habitants de cette région recherchent maintenant une meilleure qualité de vie. Parmi les 10 PIB qui connaissent la croissance la plus rapide au monde, six d’entre eux se situent en Afrique subsaharienne. Non seulement ces pays sortent de la pauvreté économique, mais ils s’efforcent aussi de sortir de la pauvreté énergétique. Ces deux éléments vont de pair et, pour ce faire, ils ont besoin d’une énergie facilement disponible à un prix abordable, et ils ont besoin d’une sécurité d’approvisionnement. Nous ne pouvons pas leur dire, dans cette phase de transition économique, qu’ils doivent payer un prix plus élevé pour des sources d’énergie moins fiables, comme un parc éolien qui ne produit de l’énergie que 35 % du temps ou l’énergie solaire qui n’est efficace qu’à 45 ou 50 %. N’oubliez pas que l’héritage de connaissances et d’expertise technique que nous avons à l’heure actuelle en matière d’énergie renouvelable par rapport au savoir et au patrimoine gazier est encore très faible pour ces régions. Dans notre industrie, nous savons, avant même d’installer le premier pipeline dans le sol, combien il nous en coûtera annuellement, mensuellement et même quotidiennement. Cette accumulation de connaissances facilite la planification de nos coûts. Peut-être qu’à l’avenir, lorsque l’industrie de l’énergie renouvelable se montrera plus résiliente et plus claire quant aux coûts et aux autres préoccupations, nous verrons peut-être une utilisation accrue de ces technologies.
Tim : Vous avez parlé de la profondeur des connaissances et de l’expertise de notre industrie. L’accent mis sur l’innovation a été l’un des principaux moteurs de notre industrie dans l’acquisition de ces connaissances et de cette expertise. Pouvez-vous nous parler de l’opportunité d’innover en Égypte avec notre carburant et notre industrie? L’innovation est-elle une priorité pour vous?
Khaled : En 1988, j’ai visité Fort McMurray et, à l’époque, le coût de l’extraction du pétrole était deux fois plus élevé que ce qu’il est maintenant. C’est parce que la technologie n’était pas aussi développée. Aujourd’hui, de nouvelles avancées technologiques ont permis aux entreprises de produire un baril de pétrole à un coût nettement inférieur. Il en va de même pour l’industrie gazière. Les entreprises font d’importants investissements dans la recherche et le développement pour mettre sur le marché des technologies plus propres, plus fiables et plus rentables. Prenons, par exemple, l’industrie du gaz naturel liquéfié (GNL). Il y a 30 ans, il n’y avait que six producteurs et cinq importateurs. Aujourd’hui, 28 producteurs et près de 50 pays dans le monde importent du GNL. Cela s’explique en partie par la souplesse et les progrès de la technologie du GNL, notamment en ce qui concerne les capacités de stockage, l’amélioration des unités de gazéification et les nouvelles installations de GNL à petite échelle. Un autre exemple fantastique de progrès technologique est le domaine des transports. Le gaz naturel sous sa forme comprimée (GNC) est une solution idéale pour les véhicules routiers afin de réduire les émissions et les coûts pour nos flottes de transport. Nous étudions également la possibilité d’utiliser le GNL pour des applications marines. Chaque jour, des navires et des transporteurs empruntent le Nil pour transporter des marchandises à l’intérieur des terres. Ces navires utilisent principalement du diesel et d’autres combustibles polluants, mais en passant au gaz naturel, ils contribueraient à réduire les émissions. Nous savons que la technologie nécessaire à la mise en œuvre du GNL comme combustible marin a fait ses preuves, qu’elle est disponible sur le marché et qu’elle offre de grandes possibilités à notre secteur maritime. Nous constatons également des progrès technologiques notables dans le domaine du refroidissement urbain. En Égypte, plusieurs immeubles de bureaux sont refroidis par une seule station de refroidissement urbain, au lieu d’avoir une unité dans chaque fenêtre.
Nous avons une industrie gazière très solide, en partie grâce aux professionnels hautement qualifiés et aux talents exceptionnels qui travaillent pour notre industrie. L’expertise que nous avons acquise dans notre industrie nous a permis d’en arriver là où nous en sommes aujourd’hui.
Tim : Vous êtes coordonnateur régional pour le Moyen-Orient et l’Afrique au sein de l’IGU – comment cette expérience vous a-t-elle aidé dans votre industrie?
Khaled : À mon avis, l’IGU est un centre de connaissances très important, un carrefour en raison de sa diversification des cultures, de la diversification des expériences et des compétences, et de la diversification des connaissances. C’est un endroit où les chefs de file de l’industrie et les experts du monde entier peuvent se réunir et échanger leurs idées et leurs connaissances afin de faire progresser le gaz comme partie intégrante d’un système énergétique mondial durable. Cette plateforme nous a permis d’apprendre d’autres organisations et d’améliorer nos propres systèmes. Par exemple, en Égypte, nous avons cru que nous avions la première industrie du GNC, mais nous nous sommes rendu compte que l’Argentine était beaucoup plus avancée. Le Bangladesh s’en tire également très bien à cet égard. Apprendre des autres est pour moi l’un des avantages les plus importants de l’IGU.
Tim : Vous êtes un grand défenseur de l’industrie et de la coopération internationale dans l’industrie. Vous avez été candidat à la présidence de l’IGU au dernier tour. La Chine a remporté ce tour. Beaucoup pensent que, compte tenu de la croissance extraordinaire de l’industrie dans votre région, il serait opportun d’avoir un représentant de l’Afrique à la tête de l’IGU. Vous présenteriez-vous de nouveau?
Khaled : En ce moment, je suis vraiment concentré sur mon travail. Nous distribuons plus de 5 milliards de m3/année avec une capacité d’expansion de 8 milliards de m3/année; nous servons également plus d’un million de clients en Égypte et ils sont notre principal objectif car nous voulons nous assurer que nous leur fournissons la meilleure qualité de service possible. Pour l’instant, il est trop tôt pour penser à se représenter. S’il y a un vide ou un poste vacant, nous interviendrons et tenterons d’aider à combler le vide et de travailler avec les autres membres.
Tim : Une dernière réflexion?
Khaled : Oui, c’est certain – j’aimerais souligner que j’aurai toujours de très bons souvenirs de mon séjour au Canada. J’ai tellement appris sur l’industrie gazière pendant mon séjour là-bas. Les connaissances et l’expertise de l’industrie canadienne du gaz sont très importantes et sont essentielles pour l’avancement des avantages du gaz à l’échelle mondiale. J’ai hâte de travailler avec vous et votre industrie à l’avenir.