Le Canada et les États-Unis entretiennent une relation unique depuis de nombreuses décennies. Cette relation va au-delà de notre frontière commune : elle est façonnée par des valeurs similaires, des intérêts communs, des liens profonds, souvent personnels, et des liens économiques puissants et à plusieurs niveaux. La relation entre le Canada et les États-Unis est sans doute l’une des relations les plus stables et les plus fructueuses entre deux pays. Ensemble, nous formons le plus grand partenariat commercial de biens et de services au monde. L’énergie est au cœur de ce commerce, et nous sommes le plus important partenaire commercial de l’un et de l’autre dans le domaine de l’énergie, avec 106 milliards de dollars en pétrole brut, 16,4 milliards de dollars en gaz naturel, 25 milliards de dollars en produits pétroliers raffinés et 3,4 milliards de dollars en électricité qui auront fait l’objet d’échanges entre le Canada et les États-Unis en 2018.
Récemment, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec l’ambassadeur du Canada aux États-Unis, David MacNaughton, pour connaître son opinion sur les relations canado-américaines en matière d’énergie. Voici quelques points saillants de notre conversation.
ACG : Vous avez des dossiers difficiles à régler en tant qu’ambassadeur aux États-Unis. Pouvez-vous m’en dire plus sur la place du dossier énergétique dans votre liste de priorités?
Ambassadeur MacNaughton : Ce n’est un secret pour personne que ces dernières années, j’ai passé une bonne partie de mon temps à aider à renégocier l’ALENA, et l’énergie a fait partie de la discussion. L’un des principaux points sur lesquels nous avons insisté dans ces discussions avec les représentants américains est que le Canada est un partenaire sûr, non seulement dans le domaine de la défense et du renseignement, mais aussi dans celui de l’énergie : nos relations dans le secteur de l’énergie et avec le commerce de l’énergie ont rendu les États-Unis plus sûrs sur le plan de l’approvisionnement et sur le plan économique. Dans un monde où les principaux fournisseurs mondiaux d’énergie sont des pays dont l’environnement politique et économique est très difficile, il est clair que le Canada est un partenaire particulièrement précieux. Le commerce bilatéral de l’énergie entre le Canada et les États-Unis se chiffrait à 162 milliards de dollars en 2018, et il existe des possibilités de le développer. En fait, j’ai récemment eu l’occasion de m’entretenir avec un certain nombre de responsables américains à ce sujet et de discuter de la façon dont nous pouvons travailler pour obtenir davantage de ressources du Canada aux États-Unis afin d’aider à compenser les conséquences négatives des problèmes découlant des autres options d’approvisionnement.
ACG : Pensez-vous que les représentants des gouvernements du Canada et des États-Unis comprennent à quel point le secteur de l’énergie fonctionne à l’échelle continentale, et non séparément dans l’un ou l’autre pays?
Ambassadeur MacNaughton : Le secteur lui-même en est conscient, mais je ne pense pas que tous les politiciens ou le public le comprennent de façon générale. C’est en partie parce que nos systèmes sont très fiables. Nous voyons très peu de problèmes de circulation des ressources entre les pays et il y a donc peu de réflexion à ce sujet pour ceux qui ne sont pas directement mobilisés dans le secteur. Je pense qu’il est vraiment important de sensibiliser les gens à cette question et qu’il faut faire davantage. Je me souviens, juste avant les dernières élections américaines, avoir parlé à un sénateur qui a mentionné que si les républicains étaient élus, ils aideraient à appuyer le projet de pipeline Keystone, mais qu’ils demanderaient leur part du gâteau. J’ai dit, c’est très bien, pourvu que nous obtenions une part de tous les pipelines qui vont du sud au nord. Il a été clairement surpris qu’il y ait des pipelines qui aillent dans le sens sud-nord. Comme je l’ai dit, nous n’avons pas été assez clairs lorsque nous avons parlé des possibilités de mise en valeur des ressources continentales pour décrire les principaux avantages qu’elles offrent au Canada, aux États-Unis et au Mexique.
ACG : Le gouvernement Trudeau a revendiqué un programme environnemental dynamique, y compris un engagement à atteindre les objectifs de réduction des émissions de l’Accord de Paris. L’administration Trump s’est retirée de ces objectifs. En quoi cela affecte-t-il votre travail dans le domaine de l’énergie?
Ambassadeur MacNaughton : Il est clair que les deux gouvernements ont des approches différentes sur la question du contrôle des émissions. Bien que le gouvernement fédéral américain se soit retiré de l’Accord de Paris, près de 50 % des gouvernements des États américains ont indiqué qu’ils appuyaient les objectifs découlant de cet accord. Il faut donc conclure que le retrait du gouvernement fédéral américain de l’Accord de Paris ne représente pas l’opinion de tous les Américains. Je ne crois pas que nous devrions changer d’orientation chaque fois qu’une nouvelle administration entre en fonction; nous devons examiner l’élan général et, même si une administration n’appuie pas pleinement l’objectif de Paris, nous devons maintenir le cap. Nous ne pouvons pas perdre de vue l’ensemble de la situation, quelle que soit l’approche adoptée par une administration ou l’autre. J’étais récemment à la conférence CERAweek, où ce sujet a été abordé par certains des grands producteurs américains de pétrole et de gaz. Ils sont d’avis que les États-Unis ne devraient pas revenir en arrière, mais qu’ils devraient plutôt chercher des moyens novateurs de viser d’autres réductions. Je pense que l’industrie a une bonne vision à long terme des choses et que nous ne pouvons pas être ballottés d’une façon ou d’une autre par l’approche d’une administration fédérale ou de la prochaine.
ACG : Vous avez souligné l’importance accordée par l’industrie à l’innovation dans les discussions de la conférence CERAweek. L’innovation est un dossier clé pour le gouvernement Trudeau, et l’on peut soutenir qu’il y a plus d’harmonisation avec l’administration Trump. L’innovation est une priorité importante pour nous dans l’industrie du gaz. Avons-nous l’occasion de travailler ensemble (industrie et gouvernement) pour défendre les intérêts du Canada ici, comme moyen de réduire les émissions, sans égard à des engagements internationaux particuliers? Quelles suggestions auriez-vous pour nous?
Ambassadeur MacNaughton : Il ne fait aucun doute que l’industrie a fait un travail formidable en investissant dans l’innovation. Je pense que c’est un domaine que nous devons continuer à développer en fournissant des fonds et un soutien pour aider à accélérer le déploiement des technologies propres. Nous devons également veiller à ce que tous les ordres de gouvernement – y compris les gouvernements fédéral, provinciaux et étatiques, et le secteur privé – continuent de travailler ensemble pour aider à commercialiser des technologies novatrices. Je crois que l’une des raisons de notre succès dans la renégociation de l’ALENA est le partenariat phénoménal entre les gouvernements fédéral et provinciaux et le secteur privé des deux côtés de la frontière. Lorsque nous travaillons ensemble, nous avons le pouvoir d’apporter de réels changements. Le dossier de l’innovation dans le secteur de l’énergie est certainement un domaine où tous les gouvernements de part et d’autre de la frontière peuvent travailler avec l’industrie pour faire progresser la collaboration et aider à atteindre des objectifs environnementaux et économiques.
ACG : Vous avez constaté à maintes reprises qu’en dépit des différences, les liens entre nos pays sont forts et doivent être renforcés. L’une des plus importantes différences est l’infrastructure, et en ce qui concerne l’infrastructure énergétique, rien ne contribue davantage au transport de l’énergie que les gazoducs. Quels conseils donneriez-vous à nos lecteurs de l’industrie canadienne pour tirer parti de ce lien?
Ambassadeur MacNaughton : La construction d’une infrastructure énergétique est l’un des plus grands défis auxquels nous sommes actuellement confrontés des deux côtés de la frontière. Je crois qu’il faut qu’il y ait une discussion sérieuse entre tous les ordres de gouvernement et le secteur public pour trouver une meilleure façon de faire progresser les projets énergétiques. Vos lecteurs sont probablement au courant des obstacles et des défis liés à la construction d’infrastructures au Canada, mais cela se produit aussi aux États-Unis. Bon nombre des projets de gazoducs proposés aux États-Unis font actuellement l’objet de contestations judiciaires, environnementales et de la part de groupes autochtones. C’est assurément un dilemme pour toute l’industrie. Ce que nous devons faire, c’est consacrer un peu de temps, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, à examiner les pratiques exemplaires et à collaborer avec les groupes d’opposition d’une manière significative afin de parvenir à une entente pour faire avancer les projets nécessaires. Le projet de LNG Canada récemment annoncé en Colombie-Britannique est un bon exemple d’engagement public et privé, et j’espère que nous pourrons aller de l’avant avec d’autres projets comme celui-ci, non seulement pour faire circuler nos ressources d’un océan à l’autre, mais aussi pour faire valoir nos ressources énergétiques sur les marchés internationaux.
ACG : En prenant du recul et en réfléchissant à ce qui se passe à l’échelle internationale, l’Amérique du Nord a la chance incroyable de disposer de ressources en gaz naturel et de miser sur une source d’énergie abordable et propre, tout en offrant ces avantages au monde entier. L’avantage, au niveau mondial, pourrait être d’ordre environnemental, économique et social. Nous, dans l’industrie, sommes déterminés à poursuivre dans cette voie. Quels conseils pouvez-vous nous donner et comment pouvons-nous collaborer avec les gouvernements à cet égard?
Ambassadeur MacNaughton :
Je suis tout à fait d’accord. Disposer de formes d’énergie sûres est une composante essentielle du développement économique et de la lutte contre la pauvreté dans de nombreuses régions du monde. En y réfléchissant, je crois qu’il est possible de travailler avec de grandes institutions comme la Banque mondiale et d’autres programmes d’aide pour trouver des moyens de fournir des solutions environnementales plus propres et des systèmes énergétiques plus fiables dans les pays en développement. Les gouvernements et l’industrie devraient travailler ensemble pour trouver des débouchés internationaux où nous pouvons mettre à profit l’expertise du secteur privé, nos ressources énergétiques et nos programmes de financement concessionnel ou d’aide pour bâtir des systèmes énergétiques résilients et propres partout dans le monde. Le Canada a d’énormes possibilités à cet égard, mais, encore une fois, nous avons besoin de la collaboration des secteurs public et privé et des organisations internationales.
ACG : Une dernière réflexion?
Ambassadeur MacNaughton : Dans le cadre des fonctions que j’exerce depuis trois ans, je constate que nos relations nord-américaines, en particulier les relations canado-américaines, sont bien rodées. La possibilité de travailler ensemble, en particulier avec le secteur de l’énergie, est énorme et nos deux pays en bénéficieront. Ce n’est pas forcément un jeu à somme nulle. D’après mon expérience, les responsables américains, du ministère de l’Énergie au département d’État et même à la Maison-Blanche, ont été très ouverts aux discussions sur la coopération énergétique. C’est parce qu’ils comprennent que nous gérons le réseau électrique ensemble, que nous avons des oléoducs et des gazoducs, et des possibilités d’appuyer le développement du gaz naturel liquéfié (GNL). L’avenir est extrêmement prometteur pour l’industrie de l’énergie au Canada et aux États-Unis, mais nous devons continuer à collaborer dans l’ensemble, en travaillant à une plus grande coopération entre les secteurs public et privé pour que tout cela se réalise. Il y aura toujours une porte ouverte ici pour votre industrie; je suis favorable à de nouvelles idées et j’ai hâte de travailler avec vous.