Washington n’arrête pas de parler du « Green New Deal »1 depuis qu’il a été proposé pour la première fois par la nouvelle représentante américaine Alexandria Ocasio-Cortez (D-NY)2 en janvier 2019. Un avant-projet de loi sur le Green New Deal qui a fait l’objet d’une fuite comprenait de nouvelles mesures politiques frappantes : un appel à la rénovation ou à la reconstruction de tous les bâtiments aux États-Unis afin d’en maximiser l’efficacité énergétique, et l’élimination du transport par combustibles fossiles, y compris les voitures, les camions et les avions. Néanmoins, en avril 2019, la proposition avait été soutenue3 par les sénateurs américains Cory Booker (DNJ), Kirsten Gillibrand (DNY), Kamala Harris (DCA) et Elizabeth Warren (DMA), tous candidats déclarés à la nomination présidentielle du Parti démocratique pour 2020.

Il est peu probable que le Green New Deal devienne une politique américaine avant 2020, mais la réponse qu’il suscite est révélatrice de son attrait politique pour les États-Unis, malgré un prix à la hauteur de son ambition, estimée dans une étude à 93 billions de dollars4. Le phénomène du Green New Deal offre à ce jour trois leçons importantes pour les observateurs de l’énergie et de l’environnement.

La modération frustrée engendre le radicalisme

Après la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED)5 qui s’est tenue à Rio de Janeiro en 1992, des experts en environnement et des dirigeants gouvernementaux du monde entier ont créé la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC).6 Au fur et à mesure que la recherche scientifique sur le problème et les prévisions de ses implications devenaient alarmantes, les militants écologistes ont été persuadés de s’unir pour soutenir l’action climatique et, plus important encore, d’accepter des mécanismes fondés sur le marché pour résoudre le problème. Ces mécanismes fondés sur le marché, principalement les systèmes d’échange de droits d’émission de carbone et la taxation du carbone, constituaient un compromis visant à convaincre le secteur privé et les gouvernements de prendre des mesures à un coût d’opportunité économique et politique plus acceptable.

« La proposition du [Green New Deal] avait été soutenue par les candidats déclarés à la nomination présidentielle du Parti démocratique pour 2020 ».
Les signes de frustration à l’égard de ce compromis se sont multipliés ces dernières années. Certains militants ont pris des mesures directes pour bloquer la construction d’oléoducs et de gazoducs qui ont aliéné certaines entreprises et créé des maux de tête politiques pour les gouvernements, particulièrement au Canada et aux États-Unis. Le manifeste « un bond vers l’avant »7 adopté par le NPD en 2016, qui exigeait que les combustibles fossiles restent dans le sol et inutilisés à jamais, était un précurseur du Green New Deal.

On n’aime peut-être pas le tsar, mais quand Kerensky trébuche, on a les bolcheviks. C’est ainsi avec le nouveau radicalisme qui fait la une des journaux et inspire de nombreux jeunes électeurs au Canada et aux États-Unis. Même si la difficulté inhérente à la mise en œuvre d’un ensemble de réformes aussi radicales dans le système politique américain risque d’empêcher le Green New Deal d’entrer en vigueur sous peu, les implications de l’échec de la modération pragmatique à étancher la soif de changement dans la communauté environnementale sont dignes de mention pour le secteur énergétique.

Trois scénarios semblent maintenant probables. Le Green New Deal pourrait être rejeté par le public et échouer politiquement en forçant un retour à la modération, peut-être après le départ de Donald Trump de la Maison Blanche s’il était remplacé par un démocrate plus ouvert à la lutte contre le changement climatique. Le Green New Deal pourrait être adopté en tout ou en partie, puis échouer économiquement, ce qui inciterait les entreprises et les gouvernements à l’abroger ou à le réviser d’une manière plus pragmatique. Ou encore, le mouvement écologiste pourrait se scinder en factions qui se battent entre elles, une infime minorité adoptant des tactiques de résistance pour exprimer sa colère face à la frustration de leurs efforts.

« En tant que principal partenaire commercial des États-Unis dans le secteur de l’énergie, le Canada a de bonnes raisons de s’inquiéter de cette situation. »

L’unilatéralisme américain et l’auto-absorption : un problème bipartisan

Alors que le Green New Deal fait l’objet d’un débat aux États-Unis, les Canadiens seront mécontents de constater que l’appétit des Américains pour des mesures unilatérales américaines qui semblent indifférentes aux répercussions sur les autres pays est un problème bipartisan. L’administration de George W. Bush a imposé aux États-Unis des obstacles à l’accès aux marchés sous la forme de mesures renforcées de sécurité à la frontière. L’administration de Barack Obama a répondu aux préoccupations politiques intérieures au sujet du pipeline Keystone XL plutôt qu’aux intérêts canadiens. La conception du Green New Deal promet encore plus de la même chose. Comme James Bacchus et Inu Manak l’ont fait remarquer,8 le Green New Deal est fondé sur une économie américaine autarcique et ne tient pas compte du commerce de l’énergie. En tant que principal partenaire commercial des États-Unis dans le secteur de l’énergie, le Canada a de bonnes raisons de s’inquiéter de cette situation. Même l’électricité renouvelable issue de la production hydroélectrique n’est pas prise en compte dans le Green New Deal. Pour atteindre les objectifs climatiques du Green New Deal, le commerce de l’énergie pourrait devoir prendre fin pour éviter les « fuites » ou l’arbitrage alors que les prix de l’énergie verte montent en flèche.

L’élimination du transport par combustibles fossiles entraînera des coûts importants pour le Canada à mesure que l’industrie automobile s’adaptera, que le secteur de l’aérospatiale fera faillite et que les 74 % du commerce nord-américain qui se fait par voie terrestre9 chercheront de nouveaux moyens de joindre les consommateurs.

Le Canada doit défendre ses intérêts

De tels scénarios cauchemardesques sont peu probables, mais la gravité avec laquelle ils sont pris au sérieux aux États-Unis indique qu’une nouvelle menace de dommages collatéraux au Canada découlant de l’élaboration unilatérale de politiques par les États-Unis est apparue. Les entreprises canadiennes du secteur de l’énergie et peut-être certains groupes environnementaux canadiens plus modérés devraient participer au débat américain sur le Green New Deal avec le même zèle que les milieux d’affaires canadiens et les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada ont participé au débat sur l’ALENA qui a mené à l’ACEUM (aussi appelé l’AEUMC). Le meilleur moyen d’empêcher le radicalisme de prévaloir est que toutes les parties s’engagent de nouveau à faire des efforts responsables et modérés pour lutter contre les changements climatiques.

« L’élimination du transport par combustibles fossiles entraînera des coûts importants pour le Canada à mesure que l’industrie automobile s’adaptera, que le secteur de l’aérospatiale fera faillite et que les 74 % du commerce nord-américain qui se fait par voie terrestre chercheront de nouveaux moyens de joindre les consommateurs ».

Christopher Sands est professeur de recherche principal et directeur du Center for Canadian Studies de la Nitze School of Advanced International Studies (SAIS) de l’Université Johns Hopkins.

  1. The Washington Post, What’s actually in the ‘Green New Deal’ from Democrats?, en ligne : <https://www.washingtonpost.com/politics/2019/02/11/whats-actually-green-new-deal-democrats/>.
  2. Congress Woman Alexandia Ocasio-Cortez, en ligne : <https://ocasio-cortez.house.gov/>.
  3. The Blaze, 2020 Democratic presidential candidates endorse Green New Deal, en ligne : <Congress Woman Alexandia Ocasio-Cortez, online: <https://ocasio-cortez.house.gov/>.
  4. Bloomberg, Alexandia Ocasio-Cortez’s Green New Deal Could Cost $93 Trillion, Group Says, en ligne : <https://www.bloomberg.com/news/articles/2019-02-25/group-sees-ocasio-cortez-s-green-new-deal-costing-93-trillion>.
  5. Earth Summit, UN Conference on Environment and Development (1992), en ligne : <https://www.un.org/geninfo/bp/enviro.html>.
  6. United Nations, Climate Change, en ligne : <https://www.un.org/en/sections/issues-depth/climate-change/index.html>.
  7. The Leap Manifesto, A Call for a Canada Based on Caring for the Earth and One Another, en ligne : <https://leapmanifesto.org/en/the-leap-manifesto/>.
  8. The Hill, The Green New Deal is missing a critical element: trade, en ligne : <https://thehill.com/opinion/finance/436119-the-green-new-deal-is-missing-a-critical-element-trade>.
  9. Bureau of Transportation Statistics, en ligne : <https://www.bts.dot.gov/topics/international>.