De nombreuses élections provinciales auront lieu (à Terre-Neuve-et-Labrador, dans les Territoires du Nord-Ouest, en Alberta et à l’Île-du-Prince-Édouard) ou ont déjà eu lieu (en Ontario, au Québec et au Nouveau-Brunswick) avant les élections fédérales de 2019. Selon vous, comment les résultats de ces élections peuvent-ils avoir un impact sur la dynamique qui existe entre la politique provinciale et fédérale et, par conséquent, sur les résultats des élections fédérales?

Par Tim Powers

Le monde de la politique canadienne bourdonnera d’activité en 2018 et 2019. Non seulement des élections fédérales se profilent l’an prochain, mais un grand nombre de provinces se rendront également aux urnes. Les élections provinciales et leurs résultats peuvent donc avoir une incidence marquée sur les politiques et les pratiques fédérales.

Un exemple immédiat qui me vient à l’esprit est l’influence que le changement de gouvernement en Ontario a déjà eue sur le débat national sur l’énergie et l’environnement. Doug Ford, le nouveau premier ministre de l’Ontario, a déjà adopté une loi pour mettre fin au plan de tarification du carbone de sa province. Sa position s’harmonise avec celle du nouveau premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, dans le cadre d’une contestation judiciaire concernant le plan canadien. M. Ford a également suscité un changement de leadership à Hydro One en Ontario, l’un des plus importants services publics de transport et de distribution d’électricité du pays. Comme quoi le populisme latent ne connaît aucune limite corporative.

Une autre élection aura lieu en Alberta au printemps 2019. L’actuelle première ministre néo-démocrate Rachel Notley, qui est généralement une alliée du gouvernement du premier ministre Trudeau, pourrait se faire battre par le chef du Parti conservateur unifié, Jason Kenney. Bien qu’il ne faille pas sous-estimer Mme Notley, une décision récente d’un tribunal qui s’est traduite par l’interruption de la construction du pipeline TransMountain et, jusqu’à tout récemment, l’appui qu’elle a apporté au plan du gouvernement libéral en matière de changement climatique, pourraient faire échouer ses plans. Les élections en Alberta, lorsqu’elles auront enfin lieu, mettront l’accent sur l’énergie et l’environnement. Si M. Kenney l’emporte, il a promis de tenir l’Alberta à l’écart de la stratégie climatique du gouvernement Trudeau. Cela influera à son tour sur la scène politique nationale.

« Les élections en Alberta, lorsqu’elles auront enfin lieu, mettront l’accent sur l’énergie et l’environnement ».

La tenue d’élections provinciales, de même que l’arrêt de la construction du pipeline TransMountain, ont soulevé un débat sur la question de savoir si l’oléoduc Énergie Est devrait ou non être remis en service. Lorsque les conservateurs fédéraux se sont réunis pour leur congrès d’orientation à Halifax en août, conscients de certains des vents dominants au pays, ils ont déclaré qu’ils feraient d’Énergie Est une réalité s’ils arrivaient au pouvoir en 2019.

Déjà, le chef du Parti conservateur fédéral, Andrew Scheer, s’est caché derrière Messieurs Ford, Kenney et Moe, cultivant l’art de répéter plusieurs de leurs politiques énergétiques et environnementales qui sont diamétralement opposées à la position du gouvernement actuel. Si un plus grand nombre de premiers ministres dont la pensée ne s’harmonise pas avec celle du gouvernement fédéral sont élus, la collaboration à la mise en œuvre des politiques nationales deviendra certes plus difficile.

Alors, bien qu’il soit fascinant et souvent divertissant de voir comment les relations canado-américaines et la dynamique qui sous-tend la politique américaine influencent la politique fédérale, ne perdez surtout pas de vue ce qui se passe au niveau provincial, car un revirement de situation pourrait bien avoir un impact important sur le discours fédéral.

Tim Powers est vice-président de Summa Strategies Canada ainsi que président d’Abacus Data, toutes deux ayant leur siège social à Ottawa. M. Powers est souvent invité à l’émission Power and Politics du réseau de télévision CBC, ainsi qu’à la chaîne VOCM de Terre-Neuve-et-Labrador, sa province d’origine.


Par Gabriela Gonzalez

Malgré le fait qu’elles mettent en jeu des ordres de gouvernement bien définis et des responsabilités connexes, les élections provinciales pourraient bien influencer l’orientation du programme national. L’exemple le plus récent est celui des élections en Ontario, où le premier ministre Doug Ford et son gouvernement progressiste-conservateur ont commencé à éliminer des politiques clés de l’administration précédente et à mettre des bâtons dans les roues du gouvernement libéral fédéral avant la tenue des élections de 2019.

Premier point à l’ordre du jour de son nouveau gouvernement, le premier ministre Ford a annulé le programme de plafonnement et d’échange de droits d’émission de la province, menaçant ainsi le « cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques » que tous les premiers ministres (sauf deux) avaient signé en 2016 sous le leadership du premier ministre Trudeau. M. Ford a également contesté les politiques d’immigration du gouvernement fédéral, amenant les deux premiers ministres à croiser le fer en public.  Les résultats des élections en Ontario ont mis un froid dans ce qui était auparavant une relation très chaleureuse entre Queen’s Park et Ottawa. Mais, à en juger par l’histoire, les Ontariens et Ontariennes ne dédaignent pas une saine tension entre les gouvernements provincial et fédéral, un peu à la manière d’un contrepoids.

Ce changement dans la dynamique provinciale et fédérale a été plus évident encore lors de la première rencontre officielle entre le premier ministre Trudeau et le premier ministre Ford, le 5 juillet dernier. La séance de photos était plutôt révélatrice : Justin Trudeau affichait une mine sévère tandis que Doug Ford avait l’air provocateur. Peu après cette rencontre, le premier ministre a remanié son Cabinet, en partie à cause de l’évolution du paysage politique provincial. Mais ce changement ne s’est pas limité à l’Ontario. Le 1er octobre dernier, les Québécois ont élu un gouvernement majoritaire et se sont prononcés pour la CAQ, un parti de droite qui sera moins amical envers les libéraux fédéraux que le gouvernement précédent. Les sondages indiquent que l’Alberta suivra probablement les traces de ses homologues provinciaux et élira un gouvernement conservateur en mai 2019.

Les changements de gouvernement en Ontario, au Québec et probablement en Alberta – trois régions critiques pour le gouvernement Trudeau – signifient la perte d’alliés clés du programme national; les progrès dans des dossiers comme l’infrastructure et l’environnement pourraient donc se heurter à de nouveaux obstacles.

« Malgré le fait qu’elles mettent en jeu des ordres de gouvernement bien définis et des responsabilités connexes, les élections provinciales pourraient bien influencer l’orientation du programme national ».

Malgré les nuages qui se profilent à l’horizon dans l’arène politique, l’économie canadienne est florissante, le taux de chômage est à son plus bas niveau et le Canada n’a jamais été aussi bien perçu sur la scène internationale. Les changements qui surviennent à l’échelle provinciale offrent au gouvernement fédéral l’occasion de comparer un programme d’action tourné vers l’avenir, inclusif et visant à édifier le pays avec la solution de rechange que constitue un programme conservateur, rétrograde et populiste qui ne contribue pas à relever les véritables défis propres à notre génération.

Les libéraux croient fermement qu’ils se rangent du côté des gagnants en ce qui concerne les changements climatiques, l’immigration et les investissements dans les programmes sociaux comme la prestation fiscale canadienne pour enfants. À maintes reprises, le gouvernement Trudeau a démontré qu’il était capable de faire face à des situations aussi complexes qu’une présidence Trump et la renégociation de l’ALENA. Le nouvel accord commercial conclu entre les États-Unis, le Mexique et le Canada, dans la foulée de la renégociation de  l’ALENA, a été une victoire chaudement disputée pour les libéraux, qui a permis de faire des gains importants pour des secteurs essentiels à l’économie du Canada et d’assurer la stabilité économique. Les premiers ministres qui critiquent l’entente conclue par les libéraux dans le cadre de ce nouvel accord le font à leur détriment, puisqu’il existe un consensus général selon lequel le Canada s’en est mieux tiré que prévu dans les circonstances.

Personne ne tient les résultats des élections de 2019 pour acquis, mais le gouvernement Trudeau peut néanmoins compter sur une solide feuille de route et sur sa capacité de diriger le pays, peu importe ce qui l’attend.

Gabriela Gonzales est consultante chez Crestview Strategy. Avant ceci Gabriela a travaillé à Queen’s Park et elle a longtemps été organisatrice pour le parti libéral. Plus récemment, elle a travaillé à titre de conseillère principale en communications et opérations pour le ministre du Développement économique et de la croissance de lOntario. Gabriela détient un baccalauréat spécialisé en sciences politiques et en psychologie de l’université York et de l’École des Affaires publiques et internationales de Glendon.


Par Kathleen Monk

À une année des prochaines élections fédérales, les nomades de la campagne électorale s’affairent à trouver de nouveaux emplois aux sièges sociaux des libéraux, des conservateurs et des néo-démocrates afin d’élaborer des programmes, de proposer des candidats et de doter en personnel les régions. L’élection fédérale de 2019 s’annonce intéressante, et tandis que s’ouvre une nouvelle session parlementaire, il vaut la peine de réfléchir à la différence qui existe entre le paysage politique actuel et celui d’octobre 2015.

L’élection de 2015 s’est déroulée dans un contexte de frustration croissante à l’égard de Stephen Harper et des conservateurs fédéraux après tout près d’une décennie au pouvoir. Mais le climat politique qui a mené à la victoire du gouvernement Trudeau doit tenir compte des victoires importantes remportées par les gouvernements progressistes partout au pays : en Alberta, le Nouveau Parti démocratique (NPD) de Rachel Notley a écrasé la dynastie du Parti conservateur au printemps 2015; les provinces populeuses de l’Ontario et du Québec ont élu des majorités libérales à la fin de 2014, en faveur de Kathleen Wynne et Philippe Couillard; Brian Gallant, du Nouveau-Brunswick, a balayé un gouvernement conservateur la même année, les libéraux et néo-démocrates conservant le pouvoir en Colombie-Britannique et au Manitoba. En d’autres termes, le paysage politique qui a mené au vote fédéral de 2015 a connu des vents contraires et progressistes importants sur le plan politique. Les élections de 2019 seront cependant un tout autre scénario.

On le sait, il n’y a pas d’argent à gagner dans le jeu de la prédiction politique. Chaque élection est unique et tout stratège digne de ce nom se méfiera certainement de dépoussiérer le livre de jeu de la campagne précédente sans changer de stratégie, de tactique, de cible et de message. Mais quelle différence quelques années peuvent-elles bien faire.

« L’élection fédérale de 2019 s’annonce intéressante, et tandis que s’ouvre une nouvelle session parlementaire, il vaut la peine de réfléchir à la différence qui existe entre le paysage politique actuel et celui d’octobre 2015 ».

Au fait des récentes élections, nous avons vu les gouvernements provinciaux remettre en question le principal programme du gouvernement fédéral en matière de politique énergétique et climatique et modifier la dynamique entre la politique provinciale et la politique fédérale. Le proche allié de M. Trudeau, Dominic LeBlanc, s’est retrouvé dans la liste des quarts-arrière cet été comme ministre des Affaires intergouvernementales, et  le gouvernement espère que cet acteur politique expérimenté dont la réputation s’étend pourra gérer les relations toujours plus tendues avec les provinces et obtenir la faveur des premiers ministres avant la prochaine réunion des premiers ministres provinciaux.

Alors que le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, et celui de la Saskatchewan, Scott Moe, contestent la politique du gouvernement fédéral en matière de taxe sur le carbone et que le pipeline TransMountain met le feu aux poudres,  la frustration croissante des provinces envers le gouvernement fédéral fait quotidiennement les manchettes. Pour le gouvernement Trudeau, l’obtention d’un deuxième mandat majoritaire en 2019 dépendra de bien plus que de vents de « changement réel » et de l’opposition au régime Harper. Cette fois-ci, le chemin de la victoire sera plus ardu et la capacité du gouvernement à communiquer et à démontrer des progrès substantiels quant aux principales politiques sera la clé de son succès ou de sa chute.

Kathleen Monk est directrice à Earnscliffe, où les leaders canadiens ont confiance en sa capacité à traiter des enjeux complexes de stratégie publique, à élaborer des stratégies et à réunir divers intervenants pour raconter de véritables histoires de succès. Elle fait régulièrement partie du principal panel de commentateurs politiques The Insiders de l’émission The National de la CBC, et fournit des analyses dans le cadre de l’émission Power and Politics sur CBC News Network.