Que pensez-vous de la réaction du public face au prix de l’énergie au Canada?

PAR TIM POWERS

Comme l’a décrit le naturaliste Henry David Thoreau, « ce n’est pas ce que vous regardez qui compte, c’est ce que vous voyez ». M. Thoreau a tout à fait raison lorsqu’il s’agit du discours public sur l’énergie dans ce pays.

Les politiciens d’un océan à l’autre encadrent le débat sur ce que leurs concitoyens voient maintenant en termes de factures et de prix à la pompe par opposition aux mesures futures sur des questions comme les changements climatiques ou la nécessité de construire des pipelines. Ce que vous voyez est également différent selon le lieu où vous êtes assis. Dans des endroits comme l’Alberta et Terre-Neuve-et-Labrador, le prix est synonyme d’emploi. Ce que vous pouvez vous permettre d’acheter ou de payer est fortement influencé par le fait que vous ayez ou non un emploi et les moyens de vous offrir ce qui vous fait envie.

Par exemple, les récentes élections provinciales en Alberta ont été axées sur la question de savoir qui sera le mieux à même de faire construire des pipelines. Le pipeline symbolise les possibilités offertes, et le rythme auquel la construction peut avoir lieu représente la différence entre l’emploi d’une famille et le chômage potentiel. Mettre ou non de la nourriture sur la table est assurément l’essentiel du débat.

Un sondage Angus Reid publié en janvier a bien saisi la notion suivante : ce que l’on voit dépend du regard qu’on y pose. Les manchettes clament avec évidence « Près de six Canadiens sur dix estiment que le manque de nouvelles capacités pipelinières est une crise ». Pourtant, un paragraphe du communiqué de presse du groupe Angus Reid a bien saisi la mosaïque canadienne. Il se lit comme suit :

Les derniers sondages révèlent que les Canadiens sont polarisés selon les régions, les résidents de l’Alberta étant majoritairement d’avis qu’il s’agit d’une situation de crise. Là où les Britanno-Colombiens sont divisés, les Québécois sont d’un avis contraire.

« Il n’y a donc pas de point de vue unique sur le prix de l’énergie au Canada. C’est un objectif grand angle avec beaucoup de lignes de visée différentes ».

Lors des récentes élections provinciales de l’Ontario, on a demandé au public de voir le prix de l’énergie à travers le prisme des dirigeants d’entreprises qui s’enrichissent et qui ont de mauvaises ententes de distribution d’électricité, alors que Monsieur et Madame tout-le-monde payent davantage pour se tirer d’affaire. On a aussi rappelé que le prix de l’énergie était en fait une taxe sur le carbone et que le coût de tout ce qu’on achète augmente. Évidemment, ce ne sont pas des points de vue homogènes, mais le parti qui en a fait la promotion régit maintenant l’Ontario et mène sa politique énergétique en conséquence.

Mais les Canadiens ne sont pas prêts à tout gober, et des preuves vérifiables et bien communiquées changent ce qu’ils voient. Par exemple, lorsqu’il s’agit de ce même débat sur la taxe sur le carbone en Ontario, les niveaux d’appui ou d’opposition varient selon l’information disponible. Dans le cadre d’un sondage réalisé le 8 février 2019 par notre entreprise de recherche Abacus, les données ont révélé qu’en Ontario, 34 % des répondants appuient la taxe fédérale sur le carbone, 37 % y sont favorables et 30 % s’y opposent. Lorsqu’on leur parle de l’idée que les revenus seraient remboursés aux ménages touchés, le niveau de soutien passe à 42 % et le niveau d’opposition fléchit pour s’établir à 22 %.

Il n’y a donc pas de point de vue unique sur le prix de l’énergie au Canada. C’est un objectif grand angle avec beaucoup de lignes de visée différentes.

Tim Powers est vice-président de Summa Strategies Canada ainsi que président d’Abacus Data, toutes deux ayant leur siège social à Ottawa. M. Powers est souvent invité à l’émission Power and Politics du réseau de télévision CBC, ainsi qu’à la chaîne VOCM de Terre-Neuve-et-Labrador, sa province d’origine.


PAR GABRIELA GONZALEZ

Les Canadiens ont toute sorte d’opinions sur les prix de l’énergie, et ils ne sont pas toujours polis lorsqu’ils les expriment. Je crois que leurs opinions fermes sont le résultat d’insécurités et de frustrations financières, et certains politiciens en profitent.

Un sondage Ipsos de fin d’année 2018 a révélé que le pourcentage de Canadiens qui se sentent « bien » face à leurs finances est à son plus bas niveau en trois ans. La situation semble encore plus sombre en Alberta, où le secteur de l’énergie et les milliers de sources de revenu qui en dépendent continuent d’éprouver des difficultés. Les conservateurs au Canada capitalisent sur ces insécurités, et nous n’avons pas besoin de chercher bien loin pour en trouver la preuve. En Ontario, le gouvernement Ford continue de faire tout en son pouvoir pour lutter contre la taxe fédérale sur le carbone et faire baisser le prix de l’essence. Au niveau fédéral, les conservateurs ont envoyé des messages texte robotisés aux Canadiens dans les provinces où la taxe sur le carbone est entrée en vigueur.

« Bien que le secteur énergétique soit un moteur important de l’économie canadienne, il constitue une industrie complexe souvent mal comprise qui fait l’objet de propos idéologiques virulents ».

Ce que les politiciens omettent de mentionner, c’est que les fluctuations des prix de l’énergie résultent de l’ouverture des marchés et qu’elles échappent majoritairement à leur contrôle. En essayant de faire baisser artificiellement le prix de l’essence, les politiciens sacrifient donc les recettes futures du gouvernement. Les recettes gouvernementales provenant de l’essence sont importantes, car elles aident les administrations provinciales et municipales à bâtir l’infrastructure dont elles ont grandement besoin grâce au Fonds de la taxe sur l’essence fédéral.

C’est dans la nature humaine de se plaindre de la hausse des coûts, qu’il s’agisse de la hausse des prix de l’énergie ou des aliments, ou bien du coût de plus en plus élevé du logement dans les centres urbains du Canada. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les prix de l’énergie sont devenus une source de frustration chez les gens. En effet, les prix fluctuent sans « explication », presque arbitrairement, ce qui rend l’adaptation difficile pour les Canadiens, surtout pour ceux qui ont un budget serré et des revenus fixes. Bien que le secteur énergétique soit un moteur important de l’économie canadienne, il constitue une industrie complexe souvent mal comprise qui fait l’objet de propos idéologiques virulents.

« Personne n’aime l’incertitude, surtout lorsqu’il est question des prix de l’énergie et de leur place dans le budget des Canadiens ».

Je propose que nous examinions les prix de l’énergie au Canada sous un angle différent. Au lieu de nous plaindre lorsque nous pensons à la hausse ou à la baisse des prix, nous devrions songer aux centaines de milliers de personnes qui travaillent dans le secteur énergétique, à leur source de revenu et à leur capacité ou non de subvenir aux besoins de leur famille, et réfléchir aux façons de maintenir en vie les villes et villages touchés.

Nous devrions également nous pencher sérieusement sur l’impact des mesures gouvernementales visant à réduire les prix de l’énergie. Si vous et moi économisons cinq cents le litre à la pompe, le gouvernement disposera alors de moins d’argent pour financer des programmes et services dont nous dépendons tous.

Personne n’aime l’incertitude, surtout lorsqu’il est question des prix de l’énergie et de leur place dans le budget des Canadiens. Avant d’émettre une autre critique à l’égard de la taxe fédérale sur le carbone ou de suggérer une façon de réduire artificiellement les prix de l’énergie, les politiciens devraient être honnêtes avec les Canadiens en leur expliquant le manque à gagner qui résultera de leurs gestes politiques. Si les conservateurs veulent être financièrement responsables, ils devraient se concentrer sur les personnes qui ont le plus besoin d’aide, comme les ménages à faible revenu, au lieu d’essayer de faire économiser cinq cents par personne, même pour celles qui ne sont pas incommodées par les fluctuations des prix de l’énergie.

Gabriela Gonzales est consultante chez Crestview Strategy. Avant ceci Gabriela a travaillé à Queen’s Park et elle a longtemps été organisatrice pour le parti libéral. Plus récemment, elle a travaillé à titre de conseillère principale en communications et opérations pour le ministre du Développement économique et de la croissance de lOntario. Gabriela détient un baccalauréat spécialisé en sciences politiques et en psychologie de l’université York et de l’École des Affaires publiques et internationales de Glendon.­­


Par Kathleen Monk

Pour les environnementalistes, la survie de notre planète dépend de la réduction de l’utilisation des combustibles fossiles par notre société, à commencer par la fixation d’un prix pour le dioxyde de carbone et l’augmentation des coûts énergétiques. Pour les familles qui ont du mal à joindre les deux bouts dans la vie de tous les jours, les coûts de l’énergie représentent une dépense mensuelle importante et un irritant majeur. Dans les régions moins urbaines, disons sans transport en commun, le coût élevé de l’essence a encore plus d’incidence et est davantage source d’irritation.

Ainsi, pour beaucoup, il vaut certainement la peine de prêter une oreille attentive lorsqu’on parle de hausse des coûts de l’énergie.

Avant les dernières élections en Ontario, les partis de gauche et de droite ont fait des propositions pour s’attaquer à l’impact du prix de l’énergie sur les gens ordinaires. En fait, tant les libéraux que les conservateurs ont proposé de fixer un prix pour le carbone tout en offrant des mesures énergiques pour alléger les coûts élevés de l’énergie.

Il y avait une raison à cela. Selon le nouveau plan fédéral de tarification du carbone, il fallait fixer un prix pour le dioxyde de carbone, mais un gouvernement provincial pouvait diriger les recettes presque partout où il le voulait, y compris les remettre directement aux contribuables.

À la suite de la démission de Patrick Brown, ces faits n’ont pas empêché l’ensemble des candidats à la direction du Parti conservateur de déclarer la guerre à la notion même de taxe sur le carbone.

Doug Ford a pris la tête du peloton, prenant pour cible rhétorique la taxe sur le carbone qui se trouvait déjà dans la mire du Parti conservateur. Le reste du secteur – même ceux qui avaient déjà appuyé la version du Parti conservateur d’une taxe sur le carbone – a trouvé la rhétorique de M. Ford trop populaire parmi les membres du Parti conservateur, et tous ont aligné leur point de vue. Mais à quelques semaines de l’élection, il est devenu plus important d’avoir un slogan percutant, peu importe combien de milliards de dollars cela coûte au gouvernement. Apposer des autocollants populistes de droite sur des pare-chocs est en effet onéreux.

« Ainsi, pour beaucoup, il vaut certainement la peine de prêter une oreille attentive lorsqu’on parle de hausse des coûts de l’énergie ».

En octobre, nous assisterons aux élections fédérales et, malheureusement, probablement à d’autres campagnes qui s’appuieront sur des slogans populistes de droite, mais qui seront peu enclines à porter sur des faits, des politiques ou des débats éclairés.

Le prix élevé de l’énergie est une réalité et nuit aux familles. Je crois que nous devons prendre des mesures urgentes pour lutter contre les changements climatiques, notamment en imposant un prix au dioxyde de carbone, mais nous ne pouvons pas simplement laisser les familles à faible revenu se débrouiller seules.

Mais le problème n’est pas le populisme contre le pragmatisme. La vraie question ici est un débat honnête et factuel sur un problème réel par opposition à une rhétorique trompeuse, malhonnête et qui divise.

Les néo-démocrates sont issus d’une fière tradition populiste, mais pas d’une tradition malhonnête. Lorsque Tommy Douglas a créé le régime d’assurance-maladie, c’était une idée populiste. Mais c’était aussi une solution pratique à un problème auquel les gens étaient confrontés au quotidien. Une solution qui avait tellement de bon sens que même les élites du Parti libéral sont passées en quelques années de tactiques alarmistes et de diabolisation des idées de Tommy Douglas à leur cooptation.

Toute politique énergétique qui ne tient pas compte de la réaction du public en ce qui concerne les prix de l’énergie est vouée à l’échec. Mais un plan énergétique fondé sur une rhétorique qui sème la controverse et sur des slogans discordants condamne le pays tout entier.

Kathleen Monk est directrice à Earnscliffe, où les leaders canadiens ont confiance en sa capacité à traiter des enjeux complexes de stratégie publique, à élaborer des stratégies et à réunir divers intervenants pour raconter de véritables histoires de succès. Elle fait régulièrement partie du principal panel de commentateurs politiques The Insiders de l’émission The National de la CBC, et fournit des analyses dans le cadre de l’émission Power and Politics sur CBC News Network.