Depuis le début des années 1980, le Low-Income Home Energy Assistance Program (programme d’aide à l’énergie pour les ménages à faible revenu) du gouvernement fédéral américain, connu sous son acronyme familier LIHEAP, s’est avéré être un filet de sécurité durable pour les Américains vulnérables qui se débattent avec leurs factures d’énergie. Toutefois, les défenseurs de ce programme craignent que les efforts déployés pour réduire la part du gaz naturel dans le bouquet énergétique du pays, dans le cadre d’une stratégie visant à atteindre les objectifs climatiques, ne compromettent la capacité du LIHEAP à lutter contre la pauvreté énergétique.
À Washington, ville où la politique hyperpartisane est à l’ordre du jour, il y a au moins une chose sur laquelle les républicains et les démocrates sont d’accord depuis plus de 40 ans : le gouvernement fédéral a un rôle légitime à jouer pour aider les Américains vulnérables qui n’ont pas les moyens de payer leurs factures d’énergie.
Depuis 1981, ce consensus a permis de soutenir le LIHEAP, qui a distribué l’année dernière plus de 4 milliards de dollars pour aider les familles à éviter les coupures de courant, à améliorer l’isolation de leur logement et à payer les réparations d’urgence ou le remplacement des fournaises et des systèmes d’air conditionné.
L’impact du programme est significatif dans un pays où un Américain sur quatre déclare avoir été contraint de renoncer à des produits de première nécessité pour payer une facture d’énergie. Considérez ces données :
Le programme d’aide au paiement des factures du LIHEAP a permis de rétablir l’électricité ou d’éviter la déconnexion pour plus de 2,7 millions de familles américaines au cours de l’année financière 2023.
La même année, près de 61 000 foyers ont été modernisés grâce aux fonds du programme, ce qui a permis d’améliorer l’efficacité énergétique et de réduire la consommation d’énergie et les factures.
En 2022, le programme a permis à 34 000 enfants et 48 000 personnes âgées de sortir de la pauvreté grâce à l’aide à l’énergie.
Selon Katrina Metzler, directrice exécutive de la National Energy and Utility Affordability Coalition (coalition nationale pour l’abordabilité de l’énergie et des services publics – NEUAC), le principal groupe de défense du LIHEAP, même avec les niveaux de financement actuels, le LIHEAP ne peut servir qu’une famille sur six répondant aux critères d’admissibilité du programme en matière de revenus.
Bien que le LIHEAP soit l’un des rares programmes fédéraux dont le financement a légèrement augmenté ces dernières années, l’expiration du financement d’urgence de l’ère pandémique a mis le programme dans le pétrin à un moment où la hausse des coûts de l’énergie, les phénomènes météorologiques extrêmes et l’inflation exacerbent l’insécurité énergétique.
« Nous constatons une augmentation constante du nombre de demandes et une diminution globale du financement disponible en raison de la disparition de ces ressources d’urgence, a déclaré Mme Metzler. Les familles dont nous parlons doivent régulièrement faire des choix entre les médicaments ou la nourriture et payer leur facture de services publics. » [Traduction]
Malgré cela, le LIHEAP place les États-Unis loin devant le Canada, qui est à la traîne des autres économies développées en matière d’assistance énergétique aux personnes à faible revenu, selon Abhilash Kantamneni, associé de recherche à Efficacité énergétique Canada, qui se penche sur l’efficacité énergétique en tant qu’élément clé pour résoudre le problème de l’abordabilité de l’énergie.
« Le Canada a beaucoup à apprendre du LIHEAP, a déclaré M. Kantamneni. Le Canada est l’un des rares pays (développés) à ne pas avoir de définition officielle de la pauvreté énergétique, et il n’existe aucun programme d’aide à l’énergie au niveau national pour aider les ménages à faible revenu aux prises avec des factures d’énergie. » [Traduction]
La souplesse, une caractéristique essentielle
Selon les observateurs, la clé de l’efficacité du LIHEAP réside dans la souplesse du programme. Les fonds fédéraux sont alloués par le Congrès et distribués aux États, qui travaillent avec les entreprises de services publics locales et les organisations d’action communautaire pour trouver les meilleurs moyens d’apporter une aide énergétique aux personnes dans le besoin.
De cette manière, les fonds fédéraux peuvent être combinés à diverses autres sources de financement – les États eux-mêmes, les programmes d’assistance énergétique gérés par les entreprises de services publics et financés par les dons de leurs propres fondations de bienfaisance et de leurs clients, ainsi que les fonds de combustibles à but non lucratif – afin d’amplifier l’impact du LIHEAP.
Selon M. Kantamneni, « il s’agit d’un rôle très mûr que le gouvernement fédéral doit jouer pour être en mesure de rehausser l’ambition des programmes étatiques et locaux existants, puis de leur fournir la stabilité d’un financement à long terme afin qu’ils puissent les utiliser de façon intelligente pour débloquer les avantages pour les ménages » [traduction].
Les fonds du LIHEAP peuvent être appliqués aux factures d’énergie des ménages, quelle que soit la source d’énergie, de sorte que certains États incluent l’énergie solaire parmi les sources d’énergie possibles pour améliorer l’efficacité énergétique. Les États peuvent également accroître l’impact de leurs fonds LIHEAP en les combinant avec des fonds provenant d’un programme fédéral distinct d’aide à l’intempérisation.
Les États peuvent également faire preuve de souplesse dans l’utilisation des fonds du LIHEAP. De plus, plusieurs États utilisent le LIHEAP pour financer un programme de paiement en fonction du revenu qui permet d’assumer un pourcentage des factures de services publics d’un client pendant un an, tout en s’efforçant de réduire la consommation d’énergie grâce à des mesures d’amélioration de l’efficacité énergétique.
Duke Energy, basée à Charlotte, en Caroline du Nord, propose un programme pour les clients admissibles au LIHEAP, qui offre un crédit forfaitaire sur la facture pendant 12 cycles de facturation tout en préqualifiant automatiquement les participants pour son programme d’intempérisation, a déclaré Kevin Alexander, directeur de la stratégie et de l’agence pour les clients vulnérables chez Duke Energy.
« Nous essayons de trouver des moyens d’inscrire les clients à ces programmes pour répondre à l’aspect de l’efficacité et de l’abordabilité de l’énergie, mais aussi pour les aider aujourd’hui » [traduction], a déclaré M. Alexander, ajoutant que le service public a lancé une nouvelle initiative en Caroline du Nord pour améliorer sa capacité à mettre en relation davantage de clients avec les programmes d’aide à l’énergie.
Des programmes similaires d’aide à la facturation et de crédit sur facture sont disponibles au Canada, tels que le Programme d’aide aux impayés d’énergie (AIE) de la Commission de l’énergie de l’Ontario, financé par les contribuables, et le Programme ontarien d’aide relative aux frais d’électricité (POAFE), financé par les contribuables, a déclaré Harneet Panesar, chef de l’exploitation de la Commission de l’énergie de l’Ontario.
La grande différence, bien sûr, est que le Canada ne dispose actuellement d’aucun programme fédéral pour renforcer les efforts des provinces en matière d’abordabilité de l’énergie. Un nouveau programme lancé en 2025 alloue 800 millions de dollars à la rénovation énergétique des habitations, mais ne prévoit aucune forme d’aide à la facturation, a précisé M. Kantamneni.
« Vous ne pouvez pas organiser suffisamment de ventes de pâtisseries au niveau local pour remplacer le LIHEAP, a déclaré Mme Metzler de la NEUAC. Quatre milliards de dollars, ça représente beaucoup de ressources que notre gouvernement fédéral injecte dans notre réseau pour s’assurer que l’énergie est abordable pour tout le monde. L’approche consistant à supprimer ces fonds et à attendre des États ou des agences locales qu’ils prennent le relais n’est pas raisonnable pour garantir l’abordabilité de l’énergie dans notre pays. » [Traduction]
« Cela fait une grande différence, a déclaré M. Alexander. Le LIHEAP représente la grande majorité des fonds qui seront disponibles au niveau des États et au niveau local, et il aide un grand nombre d’agences qui essaient vraiment d’aider les clients dans le besoin. » [Traduction]
« Le parti n’a pas d’importance »
Adopté lors du premier mandat de Ronald Reagan en réponse à la crise énergétique, à la récession et à l’inflation galopante de la fin des années 1970, le LIHEAP a traversé cinq décennies, sept administrations, des coupes budgétaires et une pandémie. Les observateurs reconnaissent le soutien bipartisan que les défenseurs du programme ont obtenu au fil des ans.
« Je pense que l’une des raisons pour lesquelles le programme a survécu alors que beaucoup d’autres ne l’ont pas fait, c’est qu’il est bipartisan, a déclaré Mme Metzler, de la NEUAC. Quel que soit le côté du Congrès où vous siégez, vous êtes en mesure de voir les avantages pour votre district et les électeurs de votre district de programmes comme ceux-ci qui aident à maintenir la stabilité des familles et des collectivités et à répondre aux préoccupations en matière de santé et de sécurité communautaires. » [Traduction]
Les membres de la NEUAC donnent une idée de l’ampleur et de la diversité des partenaires qui appuient le LIHEAP, soit les associations commerciales de services publics et les entreprises de services publics elles-mêmes, les groupes représentant les combustibles livrés comme le propane, les organismes sans but lucratif de la base, les organismes de bienfaisance confessionnels et les organismes étatiques et locaux qui gèrent des programmes favorisant l’abordabilité de l’énergie.
En plus d’organiser la journée d’action du LIHEAP, son événement phare de défense des intérêts qui attire des centaines de partisans au Capitole chaque année, la NEUAC joue également un rôle clé pour s’assurer que les plus de 300 membres de la coalition travaillent efficacement ensemble au profit du plus grand nombre possible de ménages.
L’une des fonctions de base de la NEUAC consiste à éduquer les organisations membres et les autres intervenants pour s’assurer qu’ils savent comment mettre en contact les clients dans le besoin avec les ressources du LIHEAP. Avec l’aide financière de l’American Gas Association (AGA), la NEUAC a créé une carte interactive qui rend l’information facilement accessible.
Avec seulement deux employés à plein temps, la NEUAC compte sur ses partenaires des services publics pour faire connaître le LIHEAP. Duke Energy et sa division Piedmont Natural Gas, par exemple, communiquent avec leurs clients au sujet du LIHEAP et de leurs propres programmes, Share the Light (partager la lumière) et Share the Warmth (partager la chaleur), par l’intermédiaire de leurs sites Web, de leurs encarts de factures, d’événements communautaires et d’autres plateformes.
Brian Caudill, directeur général des affaires gouvernementales et des politiques publiques pour l’AGA, attribue la force de la coalition pour le succès du LIHEAP à l’obtention d’augmentations de financement au cours des dernières années, alors même que les projets de loi de crédits contenant le financement étaient régulièrement réduits.
« Tant que nous avons le plaidoyer en place et que nous sommes en mesure de faire résonner le message auprès de nos décideurs et de faire montre des avantages du programme à l’échelle nationale, le programme sera toujours mieux financé, a déclaré M. Caudill. Le parti n’a pas d’importance, et le parti n’a certainement pas d’importance pour quelqu’un qui est sans chauffage au milieu de janvier. » [Traduction]
Malgré le succès du programme, les défenseurs du LIHEAP s’inquiètent du fait que la sécurité énergétique pourrait devenir inatteignable pour encore plus d’Américains si la transition vers une économie axée sur l’énergie propre pousse les décideurs à redoubler d’efforts pour l’électrification et à retirer le gaz naturel abordable du paysage énergétique du pays.
Le gaz naturel fournit du chauffage à 60 % des foyers américains, et les ménages qui utilisent le gaz naturel économisent environ 1 132 $ par année comparativement à une maison entièrement alimentée à l’électricité, selon l’AGA. La perte de cet avantage sur le plan des prix ainsi que le fardeau financier du passage du gaz naturel à l’électricité préoccupent Mme Metzler de la NEUAC.
« Je n’ai pas d’expertise en électrification, mais ce que je sais, c’est l’impact que cela aurait sur les ménages, a déclaré Mme Metzler. À cette fin, il est impératif de répondre aux besoins de ces familles en matière d’abordabilité lorsque nous parlons d’électrification forcée. » [Traduction]
« « Pourquoi éliminerions-nous le chauffage le plus rentable pour les personnes dans le besoin, surtout compte tenu du rôle indispensable que le gaz naturel peut jouer dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle de l’économie »? [traduction]
– Brian Caudill, directeur général des affaires gouvernementales et des politiques publiques pour l’AGA
« Pourquoi éliminerions-nous le chauffage le plus rentable pour les personnes dans le besoin, surtout compte tenu du rôle indispensable que le gaz naturel peut jouer dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle de l’économie? demande M. Caudill. Ce sont certaines des choses sur lesquelles nous travaillons constamment et que nous essayons de régler sur la Colline. » [Traduction]
M. Kantamneni d’Efficacité énergétique Canada suggère que les répercussions financières de l’électrification totale mettent en évidence la nécessité de veiller à ce que les résidents à faible revenu d’une collectivité ne vivent pas également dans les maisons les moins éconergétiques – un objectif d’abordabilité énergétique enchâssé dans les politiques climatiques du Royaume-Uni, précise-t-il.
Les défenseurs du LIHEAP préféreraient rester dans leur voie et se concentrer sur le message de santé et de sécurité qui a gagné les cœurs et les esprits au Capitole depuis 1981. Cependant, alors que les pressions pour atteindre les objectifs climatiques s’intensifient, eux et les plus vulnérables des États-Unis ont clairement un enjeu énorme dans le débat sur le déroulement de cette transition.
David Coburn est un penseur stratégique, un écrivain, un expert en relations avec les médias et un consultant en communication qui s’appuie sur plus de 30 ans d’expérience en journalisme imprimé et en relations publiques d’agences.