Cet entretien a été transcrit, puis révisé pour en réduire la longueur et en accroître la clarté. Le texte ci-dessous est une traduction de l’anglais.

Timothy M. Egan, président-directeur général de l’Association canadienne du gaz : Au Canada, le gaz naturel répond à environ 35 % des besoins énergétiques du pays et constitue l’énergie d’utilisation finale la plus abordable et à la croissance la plus rapide. Des clients industriels, commerciaux et résidentiels nous demandent constamment comment obtenir du gaz naturel (s’ils n’y ont pas déjà accès), et certains de vos collègues d’arrière-ban nous posent la question suivante : « Que devons-nous faire pour obtenir du gaz [naturel] dans nos circonscriptions si nous n’y avons pas déjà accès? »

Dans le contexte de la pandémie de la COVID-19, nous répondons par : « que pouvons-nous faire pour contribuer le mieux possible à l’accélération de la reprise économique? » Cela s’applique autant aujourd’hui qu’en octobre. Qu’en pensez-vous? Que recommandez-vous que nous fassions au sein de l’industrie du gaz [naturel] en aval pour contribuer à la reprise?

L’honorable Seamus O’Regan, Ministre de Ressources naturelle du Canada

L’honorable Seamus O’Regan, ministre des Ressources naturelles du Canada : Le message le plus important au cours de cette période de transition est que nous avons constaté pendant la pandémie de la COVID19 une accélération notable des tendances et une exacerbation considérable des écarts et des inégalités, aussi bien dans le monde des affaires que dans la sphère politique. Cela nous amène tous (au sein de l’industrie de l’énergie, et plus largement dans la société) à affronter les choses beaucoup plus rapidement que prévu. Il y a des choses qui ne changent pas. Il n’y aura pas de reprise économique sans l’appui de notre secteur pétrolier et gazier. Et c’est un point que je faisais valoir en février et que je réitère avec plus de vigueur maintenant. Nous sommes le quatrième producteur de pétrole au monde. Nous sommes le sixième plus grand exportateur de gaz naturel. L’énergie, c’est un peu comme notre entreprise familiale; c’est ce que nous faisons. Le secteur de l’énergie est générateur de centaines de milliers d’emplois au pays. Il s’agit aussi d’un secteur d’exportation qui est appelé à croître encore davantage. Nos exportations s’élevaient à 6,1 milliards de dollars en 2018. Nous sommes sur le point de devenir l’un des producteurs les plus propres au monde dans l’approvisionnement des marchés nationaux et mondiaux en gaz naturel. Cette source d’énergie permet d’alimenter et de chauffer les collectivités de tout le Canada à des prix abordables. Nous avons donc besoin de cette industrie comme force motrice de notre économie. Il faut aussi que notre économie soit alimentée en énergie en produisant moins d’émissions, et nous devons faire ce qui doit être fait pour l’avenir.

On ne procède pas à la transition d’une économie en la débranchant. Nous devons être méthodiques à ce sujet. Cependant, nous comprenons l’urgence de la situation. Et c’est une urgence qui ne touche plus seulement le climat ou la lutte contre le changement climatique. Il s’agit de savoir où sont consacrés les investissements et comment les choses évoluent. Je me renseigne de plus en plus sur les énergies renouvelables, non pas dans les magazines spécialisés, mais dans le The Economist et le Financial Times. C’est en train de devenir un sujet de l’heure. D’ailleurs, c’est la première année où les investissements dans les énergies renouvelables sont supérieurs à ceux consacrés aux énergies non renouvelables. Ce que je sais, c’est que le gaz naturel, en particulier, sera un élément essentiel du paysage énergétique.

Je passe beaucoup de temps avec Fatih Birol et l’Agence internationale de l’énergie. Ceux-ci prévoient que le gaz naturel (c.àd. la demande mondiale pour cette source d’énergie) continuera à prendre de l’ampleur au cours des décennies à venir, alors que les sources d’énergie renouvelables augmenteront leurs parts de marché. Le gaz est donc en position de force pour être à la tête de la transformation vers les énergies propres. Les investissements dans les technologies propres de la part du secteur pétrolier et gazier s’élèvent à environ un milliard de dollars annuellement au Canada, ce qui représente 75 % des investissements totaux de ce secteur. Pour ce qui est des réductions d’émissions par baril (soit 30 % au cours des 20 dernières années), nous savons que nous devons faire mieux, mais c’est déjà considérable. Cette réalisation est attribuable, en partie, à l’électrification de la production de gaz naturel que nous avons observée et que nous voulons accroître, ainsi qu’aux produits de gaz naturel liquéfié sur la côte Ouest. Je pense qu’il existe un potentiel similaire pour la côte Est.

Je lisais le Financial Times il y a quelques semaines, et comme je l’ai mentionné, on voit de plus en plus d’articles et d’éditoriaux à ce sujet dans ce périodique pourtant très axée sur le monde des affaires. On y dit que résister à l’adoption des énergies renouvelables est à la fois futile et néfaste. Pour toute personne sur le marché de l’énergie, c’est quelque chose à examiner et dont vous devez tenir compte. C’est ce que le milieu du gaz naturel est prêt à faire. En tant qu’acteur majeur, mais aussi en tant qu’acteur intelligent, nous pouvons prévoir les produits dont les gens auront besoin, nous voyons où sont consacrés les investissements, et nous savons déceler d’où proviennent les fonds.

Je me souviens que lorsque j’étais au Globe (la conférence sur les technologies propres à Vancouver, soit la plus importante en Amérique du Nord), j’ai déclaré : « Nous sommes le sixième producteur de gaz naturel et le quatrième producteur de pétrole au monde; nous n’atteindrons donc pas des émissions nettes nulles sans notre secteur pétrolier et gazier; nous ne l’atteindrons tout simplement pas » [traduction]. L’évolution vers un niveau d’émissions nettes nulles au Canada passe par l’Alberta, la Saskatchewan, Terre-Neuve-et-Labrador et la Colombie-Britannique. Le lendemain, par coïncidence, je coorganisais un sommet sur l’innovation à Calgary avec Sonya Savage, ministre de l’énergie de l’Alberta, et c’est à ce moment-là que la décision au sujet de BlackRock a été rendue. Depuis lors, nous avons vu les réactions de la Deutsche Bank et d’autres acteurs, et ils ont compris que l’industrie énergétique canadienne était dans la ligne de mire de certains. Je leur ai répondu qu’un secteur pétrolier et gazier prospère au Canada a besoin d’un niveau d’émissions nettes nulles. Mon message était qu’il ne s’agit plus seulement de l’environnement et de la noble cause de la lutte contre le changement climatique (et c’est effectivement une noble cause), mais qu’il s’agit plutôt d’un impératif économique stratégique. C’est devenu un impératif concurrentiel pour notre pays, car c’est là qu’est consacré l’argent. Notre grande préoccupation réside dans le fait que les gestionnaires de fonds du monde entier et les investisseurs, qu’ils soient à New York ou à Londres ou à Zurich, cherchent des cases à cocher. Le portrait que je brosse est celui d’un gestionnaire de portefeuille assis au bout de la table du conseil d’administration, regardant ses employés et leur disant : « Que faisons-nous pour lutter contre le changement climatique? » Et l’un d’eux lève la main et dit : « Nous n’investissons pas dans l’énergie canadienne ». C’est une case à cocher. C’est dangereux, et on ne devrait pas procéder ainsi, mais c’est la réalité. Nous devons donc combattre cette façon de faire. Je leur dis, regardez de l’autre côté du registre pour voir la case à cocher relative aux questions suivantes : Ce pays fait-il quelque chose pour lutter contre le changement climatique? Est-ce qu’il est en voie d’atteindre des émissions nettes nulles?

Ils recherchent les pays qui se sont engagés à atteindre des émissions nettes nulles d’ici 2050. Je suis présentement à Terre-Neuve-et-Labrador. Il y a un mois et demi, l’assemblée législative s’est engagée à l’unanimité à atteindre des émissions nettes nulles d’ici 2050. Nous sommes l’une des trois principales provinces productrices de pétrole et de gaz du pays. Il s’agit d’un engagement important. Ils voient dans quelle direction vont les choses, et ils vont de l’avant. Et c’est ce que nous devons faire.

Egan : Monsieur le Ministre, vous avez vous-même qualifié cela comme « aller sur la lune ». C’est un objectif ambitieux que votre gouvernement s’est fixé. Je comprends que d’autres acteurs le réclament, et pourtant, comme vous venez de le faire, vous faites constamment valoir que le secteur pétrolier et gazier doit travailler avec eux pour atteindre les objectifs que vous établissez. Toutefois, il y a beaucoup d’enthousiastes pour ces objectifs qui disent que ceux-ci ne peuvent pas être atteints avec la présence de notre secteur. Je dois avouer qu’il y a beaucoup de personnes qui soutiennent votre point de vue et celui de votre gouvernement. Lorsqu’ils envisagent d’adopter des interdictions municipales au sujet du gaz naturel ou de prendre d’autres mesures du genre, que leur répondez-vous?

« Il n’y aura pas de reprise économique sans notre secteur pétrolier et gazier. »

Ministre O’Regan : C’est une très belle journée ensoleillée de 25 degrés Celsius ici à St John’s, ce qui est rare. Je suis en séance Zoom avec vous depuis le point le plus à l’est de l’Amérique du Nord. C’est littéralement un rocher au milieu de l’Atlantique Nord. J’ai grandi ici et dans une collectivité du Labrador, une collectivité du Nord accessible uniquement par voie aérienne. Lorsque vous grandissez dans une collectivité comme celle-ci, vous ne pouvez pas vous permettre d’être idéaliste. Comme les gens d’ici, je vois le monde tel qu’il est.

Nous sommes le quatrième producteur mondial de pétrole. Nous sommes un grand producteur de gaz naturel. Cependant, nous sommes également le deuxième producteur mondial d’hydroélectricité. Nous sommes un pays de premier plan dans le domaine de l’énergie nucléaire. Nous disposons d’un vaste paysage énergétique ici, mais malheureusement trop de gens dans ce pays n’ont pas la même proximité que moi ou les gens de l’Alberta et de la Saskatchewan avec le premier créateur de richesse de ce pays.

Si je traverse la rue et que je regarde le port de St. John’s, je vois constamment des navires de ravitaillement qui se rendent sur les plates-formes. Je suis exposé à cette situation chaque jour. C’est la réalité. Je réponds aux gens qui disent qu’il suffit de tout éteindre que cela n’est pas une solution réaliste. Je suis ambitieux. Je suis un environnementaliste. Je crois à la réduction des émissions. Je crois en l’atteinte d’un niveau d’émissions nettes nulles d’ici 2050, et comme j’y crois de façon réaliste, cela correspond à la réalité. C’est à cela que ressemble le changement. C’est prendre des décisions difficiles.

Vous ne pouvez plus vous contenter de discours accrocheurs qui nous amènent à dire non à ceci et oui à cela. Non! Ce n’est pas comme ça qu’on y arrive. Et ce n’est surtout pas comme ça qu’on y arrive dans une démocratie. Lorsque vous grandissez dans une province marginale – et je vous rappelle que j’ai aussi grandi au Labrador, qui correspond à la marge de la marge – le gouvernement vous semble parfois un concept abstrait qui ne correspond pas à la réalité telle que vous la voyez sur le terrain. Vous ne vous sentez pas inclus. Par exemple, les gens du Labrador n’ont pas eu le sentiment de faire partie intégrante de cette province pendant plusieurs années (et certains n’ont toujours pas ce sentiment). La population de cette province n’a pas toujours l’impression d’être représentée à Ottawa. Elle a l’impression de ne pas être entendue. Si nous n’incluons pas les gens dans les efforts de réduction des émissions, celles-ci ne se concrétisera pas, car les électeurs choisiront un autre gouvernement qui les prendra en considération. Parfois, le gouvernement représente le statu quo ou n’est pas aussi ambitieux que nous, ou pire encore, il peut faire reculer les choses (comme nous l’avons vu aux États-Unis sous l’administration Trump avec l’abolition des objectifs climatiques que l’administration Obama avait établis). C’est le fait d’une démocratie. Les gens ont besoin de sentir qu’ils font partie du changement. Je n’aime même pas parler de transition parce que, franchement, surtout dans le contexte de la COVID-19 en ce moment, les gens à qui nous avons affaire connaissent suffisamment d’instabilité et de changements dans l’économie, surtout dans le secteur pétrolier et gazier. Avec la COVID-19, la dernière chose qu’ils veulent entendre, c’est qu’il est encore question de changements, ou de transition. Je garde un œil sur le prix à payer pour réduire les émissions et sur les façons d’y parvenir? Dans certains secteurs, la situation commence déjà à s’améliorer, mais je pense que c’est ce que nous devons faire. Je ne cesse de répéter que nous devons être intelligents, nous devons démontrer l’ingéniosité dont nous avons fait preuve lorsque nous avons voulu extraire le pétrole des sables bitumineux, par exemple. C’était tout à fait remarquable! Il s’agissait d’un exploit incroyable qui nous a amenés à devenir l’un des cinq premiers acteurs mondiaux dans le secteur de l’énergie. Tout le monde nous regarde pour ces raisons.

Je suis très fier de ce que nous sommes. Je suis très fier de nos réalisations. Je suis très fier du fait que nous soyons un acteur aussi important dans le secteur pétrolier et gazier. Mon argument est le suivant : pour réduire nos émissions, nous devons mettre à profit l’ingéniosité dont nous avons fait preuve auparavant pour arriver là où nous sommes aujourd’hui. C’est parce que nous avons fait ceci que nous pouvons faire cela. J’en suis convaincu. Toutefois, nous devons également agir de façon réfléchie. Nous ne pouvons pas négliger certaines choses. Or, je pense que l’une des plus importantes choses que nous négligeons, et je suis très enthousiaste à ce sujet et cela revient à mon message sur l’inclusivité, c’est les gains d’efficacité. Les économies d’énergie, comme celles à la base de la rénovation de votre maison, de la modernisation des bâtiments et des nouveaux codes de construction, nous amènent à choisir le meilleur combustible lorsque nous examinons ceux qui s’offrent à nous. Nous pouvons ainsi atteindre entre un quart et un tiers des objectifs de l’Accord de Paris grâce à des gains d’efficacité, ce qui est remarquable. Et, comme je l’ai déjà dit, nous devons agir de façon réfléchie. Nous devons nous assurer que les gens fassent partie de la démarche. Nous avons fait du bon travail ici. En matière de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance d’entreprise, nous sommes en tête de liste avec Yale. Nous voyons des Européens, en particulier Total je crois, se retirer des sables bitumineux. À mon avis, beaucoup d’entre eux se fient à des informations qui ne tiennent compte que des émissions par baril (dans le cas du pétrole) et non de nos réalisations remarquables pour réduire ces émissions au cours des 20 dernières années. Nous devons nous appuyer sur ces informations. Je pense que c’est là où nous en sommes rendus.

« Il n’est pas question de la source des émissions, mais simplement de la réduction des émissions. Nous devons cesser de cibler des industries. Notre objectif consiste simplement à réduire les émissions. Voilà notre objectif, et non de réduire les émissions de secteurs en particulier. Nous devons simplement réduire les émissions, et c’est un point très important lorsque vous parlez d’émissions nettes nulles d’ici 2050. Le mot important à retenir est « nettes ».

Egan : Je partage vos réserves sur le mot « transition », car ce terme correspond à mon avis à l’interprétation de certains des partisans d’une cessation complète de la consommation des carburants.

Ministre O’Regan : Je m’appuierais sur cette idée, Tim, et sur ce dont m’a fait part Jonathan Wilkinson, ministre de l’Environnement et du Changement climatique : il n’est pas question de la source des émissions, mais simplement de la réduction des émissions. Nous devons cesser de cibler des industries. Notre objectif consiste simplement à réduire les émissions. Voilà notre objectif, et non de réduire les émissions de secteurs en particulier. Nous devons simplement réduire les émissions, et c’est un point très important lorsque vous parlez d’émissions nettes nulles d’ici 2050. Le mot important à retenir est « nettes ». Il y aura encore des émissions et d’autres choses qui compenseront ces émissions inévitables. Nous continuerons à émettre, nous devons juste émettre beaucoup moins pour atteindre les objectifs de 2050, et ceux de 2030 également.

Egan : Votre ministère a récemment créé une direction générale des carburants propres. Cela a suscité un grand intérêt pour nous. D’ailleurs, nous avons commencé à en parler avec certains de vos fonctionnaires, car il est question de gaz naturels renouvelables (GNR) et d’hydrogène, ce qui nous ravit. Monsieur le Ministre, vous avez parlé d’électrification tout à l’heure. Comme vous le savez sans doute, l’électrification est assez préoccupante pour nous si cela signifie l’abandon de nos infrastructures. Nous voulons nous assurer qu’il y a présence d’un marché concurrentiel et qu’il n’y aura pas de favoritisme. Votre direction générale des combustibles propres a établi le gaz naturel renouvelable comme une priorité, et nous trouvons que c’est une bonne chose. Je me demande si vous pourriez nous dire ce que vous pensez du GNR et de l’hydrogène et comment vous voyez ces sources d’énergie jouer un rôle dans le futur.

Ministre O’Regan : L’une des choses que nous voulons faire d’emblée, c’est nous appuyer sur votre fonds Gaz naturel financement innovation. Je pense que les investissements que vous avez favorisés dans les technologies propres tout au long de la chaîne d’approvisionnement du gaz naturel sont très importants dans toute cette démarche. Je pense que l’aide que vous apportez aux producteurs et aux distributeurs pour améliorer les performances environnementales et maintenir cet avantage concurrentiel va changer la donne dans des domaines comme la réduction du méthane et la production durable. Je crois que nous entretenons avec vous une relation solide qui nous permet de relever tous ces défis grâce au protocole d’accord que nous avons conclu ensemble. La création de la nouvelle direction générale des combustibles propres fait partie du secteur [groupe] de l’énergie à faible teneur en carbone de mon ministère. C’est en quelque sorte l’étape suivante dans la progression de notre relation. La nouvelle direction générale s’appuie sur d’autres travaux existants, soit la stratégie nationale sur l’hydrogène, qui sera lancée cet automne, notre Fonds de réduction des émissions et l’élaboration de la Norme sur les combustibles propres à Environnement Canada. L’idée ici, je pense, est de se spécialiser sans être myope. Il y a certains domaines auxquels nous devons vraiment nous attaquer, mais nous devons nous assurer que tout le monde collabore. Une solution ne doit pas être choisie au détriment d’une autre. Comme je l’ai dit, le gaz naturel nous procure un énorme avantage concurrentiel. Nous voulons le conserver, et il fera partie intégrante des efforts de réduction des émissions en général. Toutefois, nous faisons aussi d’autres choses, que ce soit pour le méthane ou pour la Norme sur les combustibles propres.

Egan : Pour en revenir à l’hydrogène, vous avez parlé de la stratégie qui sera lancée cet automne. Je sais que vous êtes en pleine consultation à ce sujet, et je comprends donc que vous n’ayez pas d’avis définitif sur certains aspects de cette stratégie. Nous nous considérons comme les principaux acteurs de cette stratégie, car fondamentalement, il s’agit d’acheminer du gaz dans une conduite, et nous excellons dans ce domaine. En fait, comme vous le savez, il y a 100 ans, le gaz naturel contenait une part importante d’hydrogène, car c’était alors un gaz de ville dérivé en grande partie du charbon. Nous avons donc le sentiment d’avoir déjà une certaine expérience et une certaine familiarité avec l’hydrogène. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l’orientation que vous souhaitez donner à cette stratégie de l’hydrogène? Étant donné que certaines provinces ont déjà commencé à s’exprimer assez fortement à ce sujet, comme l’Alberta, et que d’autres provinces au pays se penchent sur la question, avez-vous des idées à nous communiquer à ce sujet?

 « L’une des choses que nous voulons faire d’emblée, c’est nous appuyer sur votre fonds Gaz naturel financement innovation. Je pense que les investissements que vous avez favorisés dans les technologies propres tout au long de la chaîne d’approvisionnement du gaz naturel sont très importants dans toute cette démarche ».

Ministre O’Regan : La belle histoire du Canada avec l’hydrogène a commencé il y a environ 100 ans. Certains d’entre nous sont assez âgés, comme moi, pour se souvenir d’avoir pris un bus à l’hydrogène à l’Expo 86 à Vancouver. Il y avait aussi un parc de bus à l’hydrogène aux Jeux Olympiques de Vancouver. C’est une technologie qui attendait son heure. Je pense que le moment est venu et que nous sommes bien positionnés pour l’accueillir. Nous possédons une expertise dans les domaines des batteries et du transport. D’ailleurs, je m’entretenais avec l’ambassadrice du Danemark au Canada qui vient d’évoquer le fait que la société Ballard de Colombie-Britannique alimente les bus de l’université de Copenhague. Des entreprises comme Ballard ainsi que les 11 premières entreprises d’hydrogène, les entreprises de référence, ont vu le prix de leurs actions augmenter de 300 % en moyenne au cours de la dernière année. Si vous me demandez à quoi ressemble la réussite, il est évident que celle-ci prendrait la forme d’une industrie concurrentielle au niveau mondial où l’on assisterait à une augmentation massive du nombre de véhicules alimentés à l’hydrogène, en particulier pour les camions à 18 roues, pour lesquels l’électrification n’est pas si aisée. Pour les petites voitures, pour les voitures particulières, c’est plus facile. Toutefois, nous nous penchons sur la question de l’hydrogène pour les camions à 18 roues. Nous voulons également être très dynamiques en matière de recherche et développement dans le domaine de l’acier ainsi que du chauffage domestique.

Il y a dix ans, par exemple, les éoliennes en mer étaient incroyablement coûteuses. Je pense que les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance d’entreprise ont eu un grand effet à cet égard, et la transparence dont font preuve le Canada et le marché européen ont favorisé l’ « examen des livres ». En Europe maintenant, ils veulent 40 GW d’hydrogène d’ici 2030. Ils envisagent de produire de l’hydrogène vert sans combustible fossile, et ils sont en train de dépenser environ 40 milliards d’euros, ce qui représente une somme énorme, qui inclue une contribution de 9 milliards d’euros de l’Allemagne. C’est une bonne nouvelle pour le Canada. Cela nous poussera certainement à être plus ambitieux, et je pense que c’est une bonne chose pour l’hydrogène. Nous possédons un avantage concurrentiel ici. Cela élargit le marché et va accroître la demande. Comme vous l’avez dit, cette stratégie sera lancée cet automne, et nous allons continuer à travailler avec des partenaires comme vos membres sur la façon de nous assurer que nous disposons d’un cadre réglementaire solide. Je dois dire que, même si nous donnons une mauvaise réputation à la paperasserie, nous nous débrouillons assez bien en matière de réglementation. Je pense en particulier au nucléaire. Comme notre réglementation est admirée dans le monde entier pour sa fiabilité et son efficacité, elle représente un avantage concurrentiel pour nous. Nous voulons faire la même chose avec l’hydrogène.

« […] le gaz naturel nous procure un énorme avantage concurrentiel. Nous voulons le conserver, et il fera partie intégrante des efforts de réduction des émissions en général. Toutefois, nous faisons aussi d’autres choses, que ce soit pour le méthane ou pour la Norme sur les combustibles propres. »
Egan : Comme vous avez fait allusion dans notre conversation à l’Agence internationale de l’énergie (AIE), au G20, à des conversations avec le Danemark et à une foule d’autres perspectives internationales, je vais orienter un peu la conversation vers la scène internationale. De notre côté, l’industrie du gaz se concentre en grande partie sur le marché intérieur, mais pas exclusivement. Plusieurs de nos membres étudient les possibilités d’exportation ou possèdent des actifs internationaux. L’une des grandes possibilités d’exportation vise le gaz naturel liquéfié (GNL). D’ailleurs, l’un de nos membres, FortisBC, est déjà un exportateur de GNL et cherche à étendre ses activités dans ce domaine. Les exportations de GNL représentent aussi une énorme opportunité pour le Canada en général. Que pensez-vous que nous puissions faire de plus en tant qu’industrie pour renforcer ce message? Je pense qu’il y a un intérêt commun et une vision commune sur l’opportunité mondiale qui s’offre à nous en ce qui concerne le GNL. Pouvez-vous nous en parler un peu?

Ministre O’Regan : Je crois que de 40 à 47 % du gaz naturel du Canada est exporté, et presque tout cela est bien sûr destiné aux États-Unis; c’est un peu la trajectoire naturelle des exportations. Cependant, les importations de gaz naturel des États-Unis vers l’est du Canada sont en augmentation. À ce sujet, je suis heureux d’avoir de bonnes relations avec le secrétaire américain de l’énergie. Nous nous sommes rencontrés et avons établis des liens en raison de la pandémie. Vous pouvez imaginer que, dès le début, nous voulions nous assurer qu’au fur et à mesure que les frontières se fermaient, les travailleurs essentiels de l’industrie puissent faire des allers-retours. On ne peut pas tenir tout cela pour acquis. Le secrétaire d’État Brouillette est un homme qui en a vu bien d’autres et qui comprend la dynamique de l’industrie. Il comprend à quel point nos économies sont imbriquées, en particulier dans le domaine de l’énergie, ce qui a été très utile.

Si vous examinez les prévisions mondiales pour le gaz naturel, vous verrez que celui-ci va continuer à prendre de l’ampleur au cours des décennies à venir, surtout que les économies du monde entier s’efforcent de réduire leur dépendance à l’égard de combustibles plus polluants, comme le charbon. C’est une solution qui s’offrira aux décideurs. D’ailleurs, quelque 40 milliards de dollars sont consacrés au projet LNG Canada, ce qui représente le plus grand investissement du secteur privé dans l’histoire du Canada. Ce projet est en cours de construction, respecte les échéanciers et permettra d’exporter vers l’Asie d’ici 2025, ce qui n’est plus si loin. Les promoteurs de l’industrie s’efforcent de faire progresser cinq ou six autres projets de GNL dans tout le pays. Mon ministère se penche sur plusieurs de ces projets. Bon nombre de ceux qui sont à l’étude proposent l’électrification des opérations de production de gaz naturel et de GNL pour réduire ces émissions. Nous les réduirons même jusqu’à 90 % par rapport à nos concurrents mondiaux. Nous allons produire l’un des GNL les moins émissifs au monde. C’est ainsi que nous atteindrons un niveau d’émissions nettes nulles. C’est ce que veulent les investisseurs. Le terminal d’exportation de propane de Ridley Island d’AltaGas est aussi un exemple de diversification, et il permet des exportations au Japon. Il s’agit d’un nouveau marché formidable pour nous. Nous allons profiter de notre côte Pacifique, et j’aimerais que nous tirions également profit de notre côte Est, et de la proximité du marché de l’Union européenne, soit un marché de plus de 500 millions de personnes qui va exiger une réglementation extrêmement stricte en matière de réduction des émissions de carburants.

Egan : Eh bien, Monsieur le Ministre, c’est une bonne façon de vous poser ma dernière question : vous occupez votre poste depuis environ un an?

Ministre O’Regan : Je suis ministre depuis novembre je crois.

Egan :C’est vrai. Donc, une période assez calme sur le plan international, alors que nous avons assisté au bouleversement des marchés des ressources. Avez-vous réfléchi  au rôle et au portefeuille de notre pays ainsi qu’à l’avenir de celui-ci?

Ministre O’Regan : Je suis assurément une personne fidèle à ses racines. Elles sont une grande partie de ce que je suis. Quand j’avais 13 ans, mon père a trouvé un emploi au Labrador, et nous nous sommes installés là-bas. Happy Valley-Goose Bay était une collectivité pour laquelle il fallait se rendre et revenir par avion. C’était aussi la première fois que je rencontrais des Autochtones et des membres des Premières Nations. Les collectivités environnantes de Happy Valley-Goose Bay étaient les seuls endroits où l’on pouvait se rendre en voiture, comme à Sheshatshiu. Je ne savais pas que des gens pouvaient vivre de cette façon. Les inégalités entre ma collectivité et la leur étaient flagrantes. Cela a un impact énorme sur un enfant. C’est ce qui m’a amené à faire ce que j’ai fait. J’ai décroché mon baccalauréat en sciences politiques. J’ai rédigé ma thèse sur ce qui se produit lorsque les Autochtones sont confrontés à un développement dont ils ne veulent pas et sur les façons dont ils se mobilisent contre lui. J’ai travaillé comme adjoint exécutif du ministre de la Justice. J’ai travaillé à deux tables de revendications territoriales. J’ai travaillé pendant un an avec le premier ministre (Brian Tobin à l’époque) en tant que conseiller politique. J’ai continué à travailler à ces tables avec les Inuits et les Innus du Labrador sur un accord au sujet des impacts et des avantages pour la baie de Voisey. J’ai ensuite décroché mon diplôme d’études supérieures en sciences politiques et en philosophie. Ma thèse portait sur la participation autochtone au développement des ressources naturelles. Alors me voilà.

J’ai passé 15 bonnes années dans le journalisme et, entre-temps, je suis revenu à quelque chose qui me passionne. Jim Prentice est l’une des personnes que j’ai connues au cours de ma carrière de journaliste. Son livre, Triple Crown, se trouve ici sur mon bureau. Il est devenu un de mes amis. Nous avons aimé parler ensemble. Ce que l’on sait peu de Jim, c’est qu’il était un grand fan de Canadian Idol. Quand j’étais à CTV, il faisait partie du public pour que nous fassions connaissance. Il était venu aux Junos, et bien sûr CTV aimait avoir un ministre éminent comme Jim Prentice à ses côtés. Il venait avec sa famille, et j’ai toujours aimé lui parler. Nous avions des passions similaires pour notre secteur de l’énergie, car nous venions de provinces productrices d’énergie, pour l’environnement, ainsi que pour les questions autochtones et de justice pour les peuples autochtones en vue de mettre fin à la marginalisation que ceux-ci ressentent et vivent. C’était un type pragmatique qui obtenait des résultats. J’avais beaucoup de temps à lui consacrer. Sa mort a été terrible, mais je ressens encore sa présence lorsque je lis son livre. L’autre chose que je pense être vraiment importante, et que j’ai constatée chez lui, c’est la fierté que nous devrions ressentir pour ce que nous faisons; la fierté que nous devrions ressentir d’être l’un des grands producteurs de gaz naturel de ce monde, et l’un des grands producteurs d’hydroélectricité. Je suis d’avis que le défi de notre époque et de ce qui se passe en ce moment en raison de la pandémie est que l’on constate non seulement une accélération des tendances dans l’industrie de l’énergie, mais aussi une exacerbation des inégalités au sein de notre société et entre les pays.

Ce qui me réconforte, c’est la façon dont nous avons géré la pandémie de la COVID-19 au Canada. Dans l’ensemble, aussi dur que nous soyons envers nous-mêmes (une attitude propre aux Canadiens), force est d’admettre que nous avons fait un assez bon travail. Il y a eu une volonté collective de prendre soin les uns des autres en portant un masque, en respectant la distanciation physique et en démontrant chaque jour une courtoisie mutuelle. En tant que fiers citoyens du monde, nous devons transposer cet élan de changement à d’autres contextes qui l’exigent. Nous devons réduire nos émissions. Il est impératif que nous le fassions pour le bien de notre planète et des générations futures. Nous devons nous occuper les uns des autres dans notre pays et nous attaquer aux inégalités que nous constatons.

C’est ce qui m’apparaît être le plus important, car j’ai grandi entre des collectivités autochtones et non autochtones, et nous savons également que le mouvement Black Lives Matter a trouvé écho ici aussi, et pour une très bonne raison. Pour les personnes racialisées dans ce pays, les inégalités sont encore trop importantes. Et qui en fait principalement les frais dans le contexte de la pandémie de la COVID19, plus particulièrement aux États-Unis mais ici aussi, ce sont ces personnes. Je pense que notre réaction à cette situation a été fantastique; pas parfaite, mais assez bonne. Nous devons transposer cette façon de faire dans d’autres contextes. Nous devons nous attaquer aux autres défis auxquels nous sommes confrontés en ce moment. Ce n’est pas facile, mais nous l’avons déjà fait. Nous avons prouvé que nous pouvons le faire, et je pense qu’il y a une volonté de relever ces défis.

Egan : Monsieur le Ministre, nous avons pris beaucoup de votre temps et je vous en suis très reconnaissant. Un dernier mot pour nos membres du secteur du gaz naturel?

Ministre O’Regan : Continuez à faire ce que vous faites. Soyez fiers de ce que vous faites. Et réduisons certaines de nos émissions.