Timothy Egan, président et chef de la direction de l’Association canadienne du gaz, a eu l’occasion de s’entretenir avec Mme Rebecca Schulz, ministre albertaine de l’environnement et des zones protégées, pour discuter de la valeur et de l’impact de l’industrie du gaz naturel dans cette province, au Canada et dans le monde.
Timothy Egan : En tant que ministre de l’Environnement, pouvez-vous nous donner une idée de la place qu’occupe le gaz naturel dans le programme environnemental albertain?
La ministre Schulz : Je pense que ce qui nous différencie, en particulier d’autres gouvernements, comme notre gouvernement fédéral, c’est que nous nous concentrons vraiment sur les moyens pratiques de réduire les émissions mondiales et d’atteindre la carboneutralité.
Et lorsque nous parlons de carboneutralité, je pense que nous la définissons différemment de certains autres gouvernements, en particulier de notre gouvernement fédéral. Il ne s’agit pas d’atteindre le zéro absolu, mais d’aider à répondre à la demande d’énergie qui devrait augmenter de 30 % d’ici 2040.
Nous savons que la production de combustibles fossiles se poursuivra pendant des décennies, même avec les énergies renouvelables et tous les investissements que nous avons réalisés dans ce secteur en Alberta. Il s’agit en fait d’examiner comment le gaz naturel albertain et le gaz naturel provenant d’autres régions du Canada pourraient faire partie de la solution pour réduction des émissions mondiales. Je pense que c’est là que notre approche est unique. Elle est axée sur l’innovation. Elle n’est pas axée sur l’idéologie.
Nous investissons dans de nombreux programmes qui visent à réduire les émissions tout en maintenant la croissance et la prospérité de notre secteur énergétique et, franchement, nous avons fait du bon travail sur ce front.
Nous avons fait preuve de leadership. Je parle souvent de la réduction des émissions de méthane, qui sont de l’ordre de 45 % depuis 2014.
Nous avons 11 millions et demi de tonnes de CO2 stockées sous terre de manière sûre et permanente grâce à la séquestration du carbone.
De plus, le gaz naturel a largement remplacé le charbon comme principale source d’électricité dans la province.
Ici, en Alberta, nous prévoyons d’abandonner le charbon des années plus tôt que prévu. Bien sûr, cela a eu un coût, mais le gaz naturel a vraiment remplacé le charbon, et nous allons continuer à chercher des façons de réduire davantage les émissions de méthane.
Nous avons lancé le Alberta Security Infrastructure Program (ASIP), pour soutenir la technologie de captage, de l’utilisation et de stockage du carbone, et nous cherchons des moyens de réduire les émissions secteur par secteur. Bien entendu, le gaz naturel fait partie des solutions – en particulier lorsque nous cherchons à réduire les émissions mondiales et à le faire rapidement en délaissant l’usage du charbon dans le monde. Celui-ci est responsable de plus de 40 % de toutes les émissions de CO2 du secteur de l’énergie, et sa consommation mondiale a atteint l’année dernière des niveaux historiquement élevés.
Nous parlons souvent de l’Inde et de la Chine qui ouvrent de nouvelles centrales à charbon et brûlent plus de charbon que jamais. Il va de soi que le gaz naturel produit beaucoup moins d’émissions que le charbon, et le Canada produit le gaz naturel liquéfié (GNL) le plus propre au monde. C’est vraiment là que nous voyons une occasion à saisir, car les émissions n’ont pas de frontières. Il s’agit d’un problème mondial.
C’est pourquoi nous avons examiné l’article 6 de l’Accord de Paris et demandé au gouvernement du Canada de nous aider à trouver un moyen de garantir que le secteur canadien du gaz naturel puisse fournir l’énergie requise. Je pense qu’il s’agit d’un débouché important, non seulement pour l’Alberta, mais aussi pour le Canada.
Nous savons que nous pouvons aider toutes les entreprises qui appartiennent à l’Alberta et qui y exercent leurs activités, ainsi que tous les travailleurs de ces industries. Nous pensons que nous pourrions contribuer à réduire les émissions mondiales nettes de 221 millions de tonnes.
Je pense qu’il s’agit là d’une opportunité énorme et que ce serait une grande victoire pour nous ici, tant du point de vue économique qu’environnemental.
Timothy Egan : Vous avez donc souligné qu’il ne s’agit pas seulement d’une opportunité pour l’Alberta, mais d’une opportunité nationale. Comment vos collègues, les ministres de l’Environnement de tout le pays, réagissent-ils à cela? Selon vous, quel rôle envisagent-ils pour le gaz naturel dans leur province ou territoire et à l’échelle nationale?
La ministre Schulz : Je pense que la plupart de mes collègues sont pragmatiques et qu’ils comprennent, de toute évidence, que nous devons réduire les émissions et maintenir le bon fonctionnement général de la société.
Nous devons être en mesure de réduire les émissions et de faire en sorte que la vie reste abordable. La disponibilité d’une énergie abordable, fiable et sûre continue d’être un grand sujet de conversation chez les Canadiens et Canadiennes dans tout le pays.
Je pense que mes homologues s’en rendent compte. En ce qui concerne plus particulièrement l’Alberta, nous devons nous assurer que nous disposons d’une offre et d’une production de gaz naturel suffisantes pour alimenter les foyers et les entreprises.
Les changements proposés par le gouvernement fédéral dans le cadre du Règlement sur l’électricité propre nous mettent évidemment en danger. Nous l’avons constaté en janvier, lorsque notre réseau électrique a été fortement menacé par une vague de froid extrême. L’électricité renouvelable – que nous avons en abondance en Alberta – n’a pas été en mesure de répondre à la demande. Le gaz naturel répartissable a été essentiel : il nous a empêchés de geler! Le Règlement sur l’électricité propre vise à éliminer le gaz naturel pour la production d’électricité.
Et nous ne sommes pas les seuls à avoir besoin de gaz naturel. D’autres provinces dépendent également du gaz naturel de manière concrète, ainsi que d’autres sources d’énergie menacées par le Règlement sur l’électricité propre, et d’autres personnes nous exprimé ce besoin dans l’ensemble du pays. Nous avons un climat froid partout au Canada, et je pense que nous voyons de plus en plus d’autres gouvernements provinciaux et leurs citoyens dire mettons l’idéologie de côté. Soyons pragmatiques.
Les réticences à l’égard de la taxe sur le carbone, à laquelle s’opposent sept premiers ministres provinciaux et 70 % des Canadiens et Canadiennes, témoignent de la popularité de cette vision pragmatique.
C’est ce que nous verrons, je crois, dans le cas du gaz naturel, où le gouvernement fédéral a constaté une forte opposition à sa règlementation en matière d’électricité en raison de la façon dont il cible le gaz naturel. Nous demandons à la population canadienne et à l’industrie de continuer à faire en sorte que leurs voix soient entendues pour inciter le gouvernement fédéral à collaborer avec nous à la conception de solutions réalistes.
Il s’agit de s’assurer que l’énergie reste fiable, abordable, sûre et sécuritaire, ce qui importe de plus en plus aux gens de partout au pays.
Timothy Egan : Quelles sont vos priorités sur la scène internationale?
La ministre Schulz : La première ministre Danielle Smith et moi-même avons clairement indiqué à quel point il est important de défendre et de promouvoir notre industrie de l’énergie. Il ne s’agit pas seulement de communiquer, mais aussi de défendre l’innovation formidable qui se produit ici même en Alberta, en particulier en matière de réduction des émissions.
Souvent, lorsque nous voyageons dans le monde, beaucoup de gens nous disent qu’ils ne savaient pas que nous faisions cela en Alberta. Je pense que c’est exactement la raison pour laquelle nous devons être présents à la 29e Conférence des Parties (COP 29) pour montrer au monde que l’Alberta continuera à jouer un rôle dominant en matière de réduction des émissions, tout en étant un moteur de l’innovation et du leadership énergétique en faveur de la réduction des émissions mondiales et de la stimulation des avancées technologiques dont la planète a besoin.
J’ai entendu plusieurs représentants provinciaux dire qu’il y aurait tellement plus d’opportunités si nous pouvons travailler ensemble : pas seulement dans une région de la province, mais dans tout le pays, soit de la Colombie-Britannique et Terre-Neuve, en passant par l’Alberta et la Saskatchewan.
Timothy Egan : Eh bien, Madame la Ministre, ce type de leadership est un signe positif pour nous et très motivant pour notre industrie. Quels sont vos conseils pour la poursuite de nos activités de développement, de transmission et de distribution du gaz naturel à la population canadienne?
La ministre Schulz : Je dirais simplement qu’il faut continuer à promouvoir et à innover, car je crois que notre industrie énergétique est meilleure que quiconque en matière d’innovation.
Nos producteurs de pétrole et de gaz en amont figurent parmi les leaders nationaux en matière d’investissement dans les technologies propres. Au Canada, la production totale du secteur conventionnel a augmenté de 21 %, tandis que les émissions d’équivalent en dioxyde de carbone ont diminué de 24 % au cours des dix dernières années. Pour sa part, la production de gaz naturel a augmenté de 35 %, et nous avons réduit les émissions d’équivalent en CO2 de 22 %.
Ce sont des victoires, et nous devons les célébrer. Nous savons que notre industrie ne se contente pas de réduire les émissions, mais qu’elle optimise également l’utilisation de l’eau et réduit son empreinte carbone.
Je vous dirais simplement de continuer à innover, d’intégrer la réduction des émissions dans votre planification et vos activités, et de continuer à investir dans la recherche et le développement, qu’il s’agisse du captage, de l’utilisation et de stockage du carbone, de stratégies de réduction des émissions de méthane ou de toute autre domaine.
En ce qui concerne la réduction des émissions de méthane, ça ne semble pas un si grand défi à relever, car nous le faisons depuis si longtemps. En effet, la technologie qui nous permet d’arriver à des émissions de méthane proches de zéro ou presque sur un site y est souvent déjà en place depuis 10 à 12 ans. Ici, avec le gouvernement de l’Alberta, nous continuerons à aborder ce sujet parce que le monde a absolument besoin de pétrole et de gaz naturel produits de manière responsable, et le monde veut constater une réduction des émissions. Nous devons donc continuer à montrer que nous pouvons faire les deux, et que nous le ferons.
Timothy Egan : Une dernière question : Pouvez-vous nous parler des possibilités offertes par l’hydrogène et de la façon dont cela pourrait jouer dans votre vision du leadership de l’Alberta et du Canada dans le domaine de l’environnement et de l’énergie?
La ministre Schulz : Absolument. La première ministre a beaucoup parlé de l’hydrogène, et je pense que cela a permis d’attirer l’attention sur le fait que le gaz naturel est également une matière première pour d’autres produits.
Il en est également question lorsque nous parlons de matières plastiques qui dépendent tellement des hydrocarbures comme matières premières – c’est la même chose pour l’hydrogène, l’ammoniac et les produits pétrochimiques. Pour ce qui est de l’hydrogène, nous cherchons à intégrer l’hydrogène propre à grande échelle, que ce soit pour les transports, la chaleur, la production d’électricité et le stockage des énergies renouvelables, l’utilisation industrielle et les marchés d’exportation.
Bien sûr, il y a eu beaucoup de discussions avec des pays du monde entier au sujet de ce à quoi cela ressemblera et de la valeur estimative du marché mondial en ce qui concerne l’hydrogène; nous parlons de nos réserves de gaz naturel et de nos sources d’énergie renouvelable, de notre réseau de pipelines, de notre infrastructure et du rôle que tous ces éléments jouent au Canada et ailleurs dans le monde pour répondre aux besoins en hydrogène.
Notre industrie, ici en Alberta, est en plein essor. Un complexe énergétique carboneutre de 1,3 milliard de dollars est en construction juste à l’extérieur d’Edmonton pour produire de l’hydrogène propre à partir du gaz naturel.
Dow Chemicals a également fait une annonce importante, soit un investissement de 8,8 milliards de dollars pour la construction d’un complexe pétrochimique carboneutre à Fort Saskatchewan.
Lorsque nous examinons ce projet, je me demande bien sûr pourquoi l’un des principaux producteurs de produits chimiques au monde, une entreprise qui peut placer ses capitaux n’importe où, a choisi l’Alberta. Je pense que cela est dû en partie aux efforts de notre gouvernement pour réduire les formalités administratives et pour attirer des investissements supplémentaires ici. Cependant, c’est certainement aussi parce que nous avons accès au gaz naturel dans notre géologie naturelle.
Qu’il s’agisse d’hydrogène, de produits pétrochimiques ou de matières plastiques, nous avons d’énormes possibilités, et cela repose sur la disponibilité du gaz naturel, ce qui ne fait que renforcer l’importance de ce secteur.
Timothy Egan : Merci beaucoup d’avoir pris le temps de vous joindre à nous aujourd’hui. Encore une fois, nous avons été ravis de la façon dont vous, la première ministre et vos collègues du cabinet avez saisi le dossier du gaz naturel comme une opportunité pour le monde et pour le Canada. Nous sommes prêts à continuer à travailler avec vous autant que faire se peut.