Danielle Smith, première ministre de l’Alberta

Timothy Egan, président et chef de la direction de l’Association canadienne du gaz, a eu l’occasion de s’entretenir avec la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, pour discuter des moyens qui permettront aux gouvernements et à l’industrie de travailler ensemble et d’assurer un avenir énergétique sûr.

Tim : C’est une journée plutôt fraîche ici à Edmonton, et nous aimons dire qu’il s’agit là d’un temps idéal pour le gaz naturel. Le gaz naturel de l’Alberta aide tout le pays, en particulier par temps froid, et nous vous en sommes reconnaissants, madame la première ministre. Cependant, ce témoignage de gratitude nous fait penser à plusieurs sujets qui alimentent le débat mondial et national sur l’énergie, et nous vous sommes reconnaissants du temps que vous nous accordez pour en discuter aujourd’hui.

Les récents événements mondiaux témoignent plus manifestement que jamais de l’importance de la sécurité énergétique, et je pense qu’ils réorientent le débat sur l’énergie dans le monde entier. Je me demandais si vous pouviez nous donner votre avis sur ce que cela signifie pour le Canada et pour l’Alberta.

Madame la première ministre Smith : Eh bien, je crois que ces événements nous amènent à élargir le débat sur l’énergie. Je pense que pendant longtemps, la discussion a principalement porté sur la réduction des émissions, ce qui est un sujet important. Si nous avons présenté un plan visant à atteindre la carboneutralité d’ici 2050, c’est en partie parce que nous voulons illustrer au monde que, oui, nous voulons faire preuve d’initiative en matière d’environnement.

Cependant, vous pouvez aussi prendre d’autres mesures qui sont nécessaires, c’est-à-dire assurer la sécurité énergétique et rendre l’énergie abordable. Ces trois éléments sont d’une importance vitale. Je crois donc que l’instabilité qui règne actuellement dans le monde, en particulier en Europe, incite les gens à élargir leur vision de ce qu’est l’énergie verte. Je pense que le paradigme était auparavant axé sur l’éolien, le solaire et les batteries; mais maintenant nous commençons à voir des obligations vertes en Europe qui englobent l’énergie nucléaire et le gaz naturel.

Cela s’explique par le fait que le gaz naturel présente un profil d’émissions plus faible que beaucoup des combustibles qu’il peut remplacer. Je pense donc qu’en adoptant l’approche selon laquelle le gaz naturel fait partie du futur paysage énergétique, nous pouvons réduire les émissions mondiales en utilisant cette source d’énergie pour remplacer le charbon, le bois et d’autres produits plus polluants. À mon avis, il s’agit là d’un message très positif que les gens commencent enfin à considérer comme étant légitime.

Tim : Pourriez-vous élaborer un peu plus sur le sujet du gaz naturel. Le gaz naturel est au cœur du débat mondial sur l’énergie. Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Europe s’est désespérément inquiétée d’une pénurie d’approvisionnement en gaz naturel. Des Européens sont venus frapper à nos portes, ici au Canada, pour nous demander ce que nous pouvions faire de plus avec cette source d’énergie.

Le monde entier semble vouloir du gaz naturel en provenance du Canada. Que devons-nous faire de plus pour exporter notre gaz naturel outre-mer?

Madame la première ministre Smith : Eh bien, nous devons dire à ceux qui en ont besoin qu’il existe un argument commercial en leur faveur. Je rencontrerai le représentant de l’Allemagne, car je pense qu’on lui a donné une mauvaise impression lorsqu’il est venu pour la première fois au Canada. Nous discutons activement avec les partenaires de LNG Canada, soit des pays comme le Japon, la Corée et la Malaisie, pour savoir s’ils comprennent l’importance du gaz naturel pour leurs économies futures.

J’ai également discuté avec les membres de différentes alliances commerciales de LNG Canada dans le monde qui s’inquiètent beaucoup du fait que si le Canada ne fait pas sa part pour fournir un approvisionnement propre et sûr en gaz naturel à d’autres pays dans le monde, ceux-ci devront miser sur le charbon, ce qui va complètement à l’encontre de ce que nous cherchons à faire sur le plan environnemental. Je crois donc que le rôle du Canada est très important, et il est de mon devoir de m’assurer que les gens comprennent que nous sommes là et que nous sommes prêts à les aider.

Je suis ravie de voir que le projet Coastal Gaslink est terminé. Il est en train d’être rempli en ce moment même. L’entreprise LNG Canada sera prête, si j’ai bien compris, en 2025. Celle-ci s’efforce de prendre une décision finale en matière d’investissement. Il est possible d’apporter un soutien supplémentaire à quelques autres projets menés par des Autochtones en Colombie-Britannique. Tant que nous pourrons faire valoir que la réduction des émissions à l’étranger est un moyen d’atteindre les objectifs mondiaux, je pense que les Britanno-Colombiens, les Albertains et les Canadiens comprendront qu’il s’agit d’un élément important du paysage énergétique de demain.

Tim : Que pouvons-nous faire de plus au sein de l’industrie et comment pouvons-nous mieux travailler avec le gouvernement? Historiquement, il semble qu’il y ait eu une approche presque conflictuelle, souvent entre l’industrie et le gouvernement au sujet de l’énergie, en particulier au niveau fédéral. Avez-vous des conseils à donner sur ce que nous pouvons faire ensemble pour améliorer la situation et saisir les opportunités dont vous parlez?

Madame la première ministre Smith : Je dois vous dire que, ironiquement, Michael Moore et son film Planet of the Humans, sorti il y a quelques années, ont vraiment fait voler en éclats le paradigme sur lequel le gouvernement fédéral s’appuyait. Beaucoup d’écologistes pensaient que l’éolien, le solaire et les batteries constituaient la solution. Or, ce documentaire a illustré le fait que si l’éolien et le solaire ont pu se développer, c’est en partie parce que le gaz naturel a servi de source d’énergie de secours.

Ainsi, lorsque le vent ne souffle pas ou que le soleil ne brille pas, les centrales à gaz sont là pour nous aider. De plus, vous ne pouvez pas fabriquer un panneau solaire à partir d’un panneau solaire, ni une éolienne à partir d’une éolienne. Tout cela nécessite une énergie énorme nécessitant des équipements lourds et des processus industriels qui requièrent l’utilisation d’hydrocarbures. Je pense que la prise de conscience de ces choses a commencé à changer l’approche adoptée initialement.

« Ainsi, lorsque le vent ne souffle pas ou que le soleil ne brille pas, les centrales à gaz sont là pour nous aider ».

Il est très important que nous fassions comprendre ces faits aux gens parce que le gouvernement fédéral procède selon un paradigme qui repose encore sur ce très vieux raisonnement. C’est la raison pour laquelle il pense que tout peut être électrifié. Ils parlent de développer l’électricité pour la croissance future, mais aussi de chauffer toutes nos maisons à l’électricité. C’est pourquoi ils sont si obsédés par les pompes à chaleur, qu’elles fonctionnent ou non, à -25 degrés Celsius.

Ils parlent également de faire passer tous les moyens transports à l’électricité. Or, nous venons d’apprendre aujourd’hui à Edmonton que des bus électriques sont en panne et que l’entreprise qui les a vendus va probablement faire faillite parce qu’ils ne fonctionnent pas très bien à des températures de 30 degrés Celsius. Il faut donc injecter une dose de réalité dans tout cela.

Dans notre province, nous avons toujours compté sur des réseaux parallèles. Nous avons eu un réseau électrique et un réseau de gaz naturel. Notre réseau électrique est également alimenté principalement par le gaz naturel. Nous avons donc compris que le fait de disposer d’un système de secours permettant d’avoir les deux systèmes est un facteur de sécurité énergétique. Nous nous battons donc avec acharnement contre le gouvernement fédéral, contre son paradigme, car nous pensons qu’il entraînera une instabilité du réseau, un manque de fiabilité, des tarifs trop élevés et qu’il ne permettra absolument pas d’atteindre les objectifs mondiaux en matière de protection de l’environnement.

Je crois donc qu’il y a beaucoup de travail à faire pour présenter le gaz naturel comme un élément du paradigme de la réduction des émissions. Je ne pense pas que nous ayons pleinement réussi parce que les voix des extrémistes sur cette question ont malheureusement prévalu pendant un certain nombre d’années. Toutefois, je commence à constater qu’on fait preuve de plus en plus de réalisme dans le débat, par exemples chez Bjorn Lomborg, Michael Shellenberger ou d’autres écologistes qui sont très préoccupés par les émissions, mais qui comprennent néanmoins que tout doit être fait de manière équilibrée.

Tim : Dernière question, madame la première ministre : la communauté autochtone est un groupe de Canadiens très préoccupés par les questions environnementales. Vous avez fait référence au fait que plusieurs projets de gaz naturel liquéfié (GNL) comportent désormais une facette autochtone. Voulez-vous commenter l’occasion de réconciliation économique que cela représente et ce que cela signifie pour l’Alberta?

Madame la première ministre Smith : Mon ministre des relations avec les Autochtones, Rick Wilson, parle de « réconcili-action », car même si de nombreuses paroles ont été prononcées (et les paroles sont importantes), si nous voulons faire une différence significative dans la vie des peuples autochtones, il faut qu’ils disposent de leur propre source de revenus. Elles doivent pouvoir disposer d’un flux de revenus sûr à long terme qui leur permette de consacrer de l’argent à leurs priorités, de développer leurs communautés avec toutes les infrastructures clés dont elles ont besoin, mais aussi de fournir des emplois bien rémunérés et une instruction aux personnes qui veulent créer des entreprises et travailler au sein de ces entreprises.

La nature de la structure de propriété des Premières Nations ne leur permet pas d’aller à la banque et de contracter un prêt pour réaliser un investissement majeur dans un projet. La solution la plus simple a donc été de devenir l’entité qui fournit la garantie d’emprunt.

Nous avons donc créé un fonds de garantie de prêt d’un milliard de dollars qui nous permet d’indemniser l’achat de certains de ces projets. Le processus que nous suivons est très rigoureux. Je m’attends donc à une incidence très, très faible de défaillance, mais cela leur permet de créer des flux de revenus à long terme. Nous avons déjà, je crois, sept projets, et deux autres seront mis en œuvre l’année prochaine, qui généreront 23 millions de revenus par an pour plus de 30 peuples autochtones.

Sur la durée de vie de ces seuls projets, les revenus s’élèveront à 1,2 milliard de dollars. Pour eux, cela change la donne. L’enthousiasme suscité par ces projets nous a enthousiasmés. Nous n’avons cessé de recevoir des suggestions sur ce que nous pourrions faire de plus. Nous avons donc porté le montant de la garantie de prêt à 2 milliards cette année, puis celle-ci passera à 3 milliards l’année prochaine.

J’aimerais que tous les grands projets d’infrastructure, qu’il s’agisse d’un oléoduc, d’un gazoduc ou d’une centrale électrique, fassent l’objet d’une prise de participation autochtone afin que les communautés concernées puissent bénéficier des revenus à long terme liés au développement de ces projets. Je pense que les Premières Nations sont en train de prendre l’initiative, ce que j’apprécie beaucoup.

Regardez les projets de GNL en Colombie-Britannique menés par les Premières Nations, qui ont leur propre processus d’approbation environnementale et qui sont défendus lors de diverses conférences sur le GNL. Pour moi, c’est très stimulant de voir que nous avons des gens qui se soucient profondément de l’environnement, de leur peuple et de la question de l’accessibilité financière, mais qui comprennent aussi que ce type d’investissement offre une solution sans avoir à faire de compromis sur l’un ou l’autre de ces points.

Et nous allons continuer à soutenir ce type de mesure.

Tim : Nous estimons que c’est une solution. C’est une bonne nouvelle pour tous les Canadiens, tout comme l’est le gaz naturel. Nous vous remercions donc de nous avoir accordé de votre temps aujourd’hui et nous vous remercions, vous et vos concitoyens albertains, pour ce gaz naturel. Je suis un Ontarien qui l’utilise pour chauffer sa maison, et je l’apprécie beaucoup.

Madame la première ministre Smith : J’en suis ravie. Nous sommes heureux de vous tenir au chaud.

Tim : Merci encore madame la première ministre Smith.