On doit parvenir à un équilibre entre les trois piliers que sont l’abordabilité, la fiabilité et la réduction des émissions de GES si l’on veut assurer notre sécurité énergétique. Comment les gouvernements devraient-ils s’y prendre pour parvenir à cet équilibre?

Par Tim Powers

Jusqu’à présent, le paysage politique fédéral du Canada en 2023 a été fortement influencé par les défis que les Canadiens doivent relever en matière d’accessibilité financière. Qu’il s’agisse d’acheter des produits alimentaires, de mettre de l’essence dans leur voiture, de payer leur logement actuel ou d’envisager d’en acheter un pour la première fois. L’inflation, les variations de l’économie mondiale et les politiques fédérales ont contribué à créer un climat d’anxiété pour les gens en fonction de leur situation personnelle. Si de nombreux Canadiens se préoccupent toujours, à juste titre, des changements climatiques, leur attention immédiate semble se porter sur leur portefeuille.

Au cours de l’été dernier, que ce soit dans le cadre de sondages ou d’élections régionales, les preuves se sont accumulées pour montrer que c’est l’accessibilité financière qui motive les intentions de vote des Canadiens, et non un engagement ferme en faveur d’une politique d’atténuation des changements climatiques. Comme l’a dit l’ancien premier ministre Jean Chrétien, « une preuve est une preuve est une preuve ». Permettez-moi donc de vous en donner quelques-unes.

En août, un reportage de CTV News avait pour titre : « La taxe sur le carbone est ine¥cace pour réduire les émissions de carburant, selon une majorité de Canadiens » [traduction]. S’appuyant sur les données de Nanos Research, CTV a rapporté que les deux tiers des Canadiens estimaient que le moment était mal choisi pour augmenter la taxe sur le carbone, et qu’une majorité d’entre eux pensaient que la taxe sur l’essence était inefficace pour lutter contre les changements climatiques.

Dans un sondage publié le 23 août 2023, notre propre société Abacus Data a constaté que les Canadiens estiment que les problèmes les plus importants avec lesquels le Canada doit composer sont l’augmentation du coût de la vie (73 %), l’accessibilité et l’abordabilité du logement (47 %), les soins de santé (45 %), l’économie (35 %) et les changements climatiques et l’environnement (29 %). Il est tout aussi instructif de découvrir que les plus grandes cohortes de votants au Canada, la génération Z et les milléniaux, ont classé l’augmentation du coût de la vie ainsi que l’accessibilité et l’abordabilité du logement bien au-dessus de la politique climatique dans la matrice des principaux enjeux.

La circonscription provinciale de Preston, en Nouvelle-Écosse, a été un bastion libéral pendant 30 ans, jusqu’à ce que les progressistes-conservateurs de la Nouvelle-Écosse en prennent le contrôle cet été. Pourquoi? Le titre d’un reportage de Global News d’Halifax aide à en comprendre la raison : « Le chef libéral de la Nouvelle-Écosse s’indigne de l’affiche électorale des progressistes-conservateurs sur la taxe fédérale sur le carbone ». Selon le reportage de Global News, « …le message des conservateurs concernant la taxe fédérale sur le carbone (a eu) un impact important sur le vote à la suite de l’élection partielle » [traduction]. Le chef libéral Zach Churchill n’était pas très content et s’est plaint que ses libéraux provinciaux aient été mis dans le même sac que le gouvernement Trudeau. Mis à part les effets dramatiques de la campagne, ce renversement historique de la circonscription s’est produit lorsque les problèmes d’accessibilité ont été opposés à la politique en matière de changements climatiques.

« … sur le front de l’opinion publique, la bataille pour la réduction de nos émissions de gaz à effets de serre s’estompe devant l’impact immédiat des pressions exercées sur le portefeuille des particuliers. »

Qu’il s’agisse d’incendies de forêt, d’alertes de chaleur ou d’ouragans, les défis climatiques sont toujours présents dans nos vies et ne disparaîtront pas. Toutefois, en ce moment, sur le front de l’opinion publique, la bataille pour la réduction de nos émissions de gaz à effets de serre s’estompe devant l’impact immédiat des pressions exercées sur le portefeuille des particuliers. La tolérance des Canadiens à l’égard de sacrifices individuels supplémentaires est faible, qu’il s’agisse de lutter contre la hausse des coûts ou de s’assurer qu’ils disposent de sources d’énergie fiables et rentables.

Le pendule finira par revenir à l’urgence climatique, mais il est peu probable que cela se produise tant que les Canadiens ne se sentiront pas plus en sécurité sur le plan financier.

Tim Powers, est le président de Summa Strategies Canada et le directeur général d’Abacus Data, dont les deux sièges sociaux sont à Ottawa. M. Powers est souvent invité à l’émission Power and Politics du réseau de télévision CBC, ainsi qu’à la chaîne VOCM de Terre-Neuve-et-Labrador, sa province d’origine.


Par Dan Moulton

Parvenir à un équilibre entre l’abordabilité, la fiabilité et la réduction des émissions est une tâche délicate à la fois réalisable et nécessaire sur le plan politique pour tout parti cherchant à gouverner au Canada. Alors que notre pays est aux prises avec une transition urgente et inéluctable vers des sources d’énergie plus propres, il est tout aussi important pour notre vitalité économique et le bien-être social de nos concitoyens de trouver le bon équilibre entre ces piliers. Si ceux-ci sont parfois présentés comme étant déséquilibrés ou incongrus les uns par rapport aux autres, cet argument est généralement au service d’objectifs partisans étroits. Notre sécurité économique est mieux servie par des gouvernements qui s’efforcent de trouver un équilibre entre ces piliers, ce qui oblige la plupart des gouvernements à trouver les moyens d’y parvenir. De plus, comme l’a démontré le récent silence de la plate-forme conservatrice sur la réduction des émissions, elle n’est généralement pas favorable à l’opportunisme partisan.

L’abordabilité est à juste titre le premier pilier de votre question. Compte tenu de la situation actuelle, cet aspect est en tête de votre liste, mais aussi de celle des décideurs politiques. Les familles canadiennes doivent composer avec une forte augmentation des dépenses des ménages, principalement attribuable au coût d’emprunt, ainsi qu’au prix du carburant pour leurs véhicules et des combustibles pour le chauffage de leur maison. L’accès à l’énergie pour chauffer sa maison devrait être un droit fondamental de la personne, car il s’agit d’une nécessité de base si l’on veut se loger en toute sécurité. Garantir un accès abordable à l’énergie fait progresser la cause de la justice sociale à tout moment, y compris celui que nous vivons actuellement. C’est un facteur clé du rythme de la transition de l’approvisionnement ou de l’investissement dans les infrastructures, qui détermine la prise de décision et l’élaboration des politiques.

La fiabilité est probablement le pilier pour lequel nous connaissons le plus de succès en tant que nation. Malgré notre géographie vaste et complexe, la plupart des familles et des entreprises canadiennes bénéficient d’une infrastructure énergétique bien construite et, à l’exception de quelques défaillances mémorables, se préoccupent rarement de la fiabilité de notre énergie. Bien entendu, ce n’est pas le cas pour tout le monde. De nombreuses communautés (autochtones, éloignées, rurales et nordiques) ne disposent pas de l’accès fondamental à des sources d’énergie fiables, ce qui s’accompagne de difficultés économiques et sociales. Combler ce fossé grâce à l’innovation technologique — comme l’adoption de micro-réseaux, de petits réacteurs modulaires et de thermopompes de maison — doit représenter une priorité pour tout gouvernement. En le faisant d’une manière qui favorise la décarbonisation, on donne à ces communautés les moyens de réussir à long terme.

La réduction des émissions s’inscrit dans l’impératif mondial et national de lutte contre les changements climatiques. Il s’agit de plus en plus d’une attente minimale de la part des électeurs, et donc des gouvernements. Les politiques telles que la tarification du carbone, les incitations aux projets d’énergie renouvelable et les normes d’émission strictes pour les industries font partie intégrante de cet engagement. La lutte contre les changements climatiques n’est pas seulement une nécessité environnementale, elle représente aussi une occasion économique pour le Canada. Les capitaux mondiaux penchent vers la décarbonisation, et le Canada risque d’être laissé pour compte s’il ne s’adapte pas.

Pour parvenir à un équilibre entre ces trois piliers, les gouvernements doivent adopter une approche nuancée et progressive. Les politiques qui y parviennent sont de plus en plus courantes, car nous nous efforçons progressivement de décarboniser notre approvisionnement en énergie sans créer de nouvelles et graves difficultés en matière de coût d’approvisionnement et de fiabilité du réseau de distribution. La réussite dans ce domaine repose sur une prise de décision fondée sur des données probantes, qui s’appuie fortement sur la sagesse des parties prenantes, qui tiennent compte de la nature dynamique du paysage énergétique et de l’importance de faire preuve de souplesse dans l’adaptation de nos stratégies à des circonstances changeantes.

Dan Moulton est vice-président de Crestview Strategy à Toronto. Il est spécialisé dans l’élaboration de stratégies qui gagnent l’opinion publique et permettent de remporter des victoires politiques. Dan dirige les plus grandes entreprises du Canada pendant les périodes de changement, de turbulences et de risques de réputation. Basé au bureau de Toronto, la pratique de Dan se concentre sur les entreprises centrées sur le consommateur, la technologie perturbatrice et l’énergie.


Par Kathleen Monk

Lorsqu’on se trouve en équilibre sur un tabouret à trois pieds, si l’un de ceux-ci cède, on tombe à la renverse. Toutefois, la lutte contre les changements climatiques ne constitue pas un simple jeu. Nous allons devoir réduire les émissions, assurer la sécurité énergétique et rendre la vie abordable.

Cela fait un an que l’Inflation Reduction Act of 2022 (loi américaine de 2022 sur la réduction de l’inflation) a été adoptée. Partout dans le monde, des pays vont de l’avant avec détermination. Il est clair que l’inaction ne fait pas partie des solutions possibles.

Si nous ne parvenons pas à relever ces défis, nos entreprises perdront du terrain face à la concurrence internationale, les investissements étrangers se tariront et les travailleurs canadiens feront la ligne au centre d’assurance-emploi, plutôt que d’être présents sur les lignes de production des produits à faibles émissions de demain.

Si nous ne réduisons pas les émissions, nous risquons de laisser notre économie à la traîne dans la nouvelle économie mondiale à faibles émissions de carbone. Si l’énergie n’est pas abordable, les familles à faibles revenus risquent de devoir choisir entre payer leur épicerie, leur loyer ou leur facture d’électricité. Sans fiabilité, les gens perdent confiance dans les fournisseurs d’énergie. Dans tous les cas, les gens rejetteront la faute sur les gouvernements, ce qui rend les politiciens malheureux.

Nous ne pouvons certainement pas nous permettre de commettre l’erreur de nous cacher la tête dans le sable comme une autruche et de ne pas penser à l’avenir, comme cela semble être la politique officielle du gouvernement de l’Alberta. Entre l’interdiction des projets d’énergie renouvelable, qui met en péril des milliards de dollars d’investissement, et le refus obstiné de travailler avec d’autres gouvernements sur un plan de réseau électrique propre, Danielle Smith se dirige à pleine vitesse vers une impasse qui laisserait pour compte l’économie, les entreprises et les travailleurs de l’Alberta.

Nous devons agir! Nous devons nous préparer aujourd’hui aux réalités de demain. Cependant, la réduction des émissions de gaz à effets de serre peut être une victoire économique pour le Canada. Cela signifie qu’il faudra concevoir de nouvelles technologies qui consomment moins d’énergie, et ainsi en réduire la demande globale. Cela signifie créer de nouvelles opportunités économiques, tout en permettant aux particuliers et aux entreprises d’économiser de l’argent sur leurs factures d’énergie.

Le Canada est également bien placé pour devenir un fournisseur de premier plan de minéraux essentiels. Nous avons des entreprises prêtes à passer à une fabrication moins polluante et plus propre. Nous disposons d’une main-d’oeuvre bien formée, travailleuse et productive.

En juin, le gouvernement fédéral a présenté la Loi sur les emplois durables. Cette loi établit une feuille de route pour que les gouvernements, les entreprises et les travailleurs collaborent à cette transition qui n’arrive qu’une fois par génération. En travaillant ensemble, ils peuvent aligner l’action climatique des gouvernements sur l’amélioration de la formation et du soutien à l’apprentissage pour les travailleurs, ainsi que sur les nouvelles possibilités économiques pour les entreprises.

Pour que cette transition économique soit fructueuse, il est essentiel de s’assurer que les travailleurs sont présents à la table des négociations. En effet, les communautés prospères sont bâties par des travailleurs qui ont de bons emplois bien rémunérés. Des emplois syndiqués qui permettent aux jeunes travailleurs de subvenir aux besoins de leur famille et même, peut-être un jour, d’acheter leur propre maison.

Après un été marqué par des incendies de forêt, des évacuations massives, une qualité de l’air dangereuse et des conditions météorologiques extrêmes, il ne fait aucun doute que les changements climatiques sont réels et qu’ils s’aggravent. Le Canada est un pays qui dispose cependant d’une abondance de ressources, tant humaines que naturelles. Nous sommes bien placés pour aªronter l’avenir avec succès, à condition de ne pas laisser les autruches prendre le dessus.

Kathleen Monk est propriétaire principale de Monk + Associates, une société indépendante d’a aires publiques. Elle apparaît régulièrement à l’émission Power and Politics du réseau CBC News et siège au conseil d’administration de CIVIX, un organisme de bienfaisance non partisan qui se consacre à la formation de citoyens engagés.