Le Canada et les États-Unis soutiennent la croissance des économies axées sur l’hydrogène

Les piles à hydrogène constitueront-elles une solution de stockage d’énergie pour les véhicules lourds du secteur des transports et compenseront-elles le caractère intermittent des énergies éolienne, solaire et autres? Au cours des derniers mois, les États-Unis1 et le Canada2 ont publié des stratégies fédérales de développement des économies axées sur l’hydrogène, à partir de la production d’hydrogène jusqu’aux applications des piles à hydrogène, qui sont présentées comme un élément essentiel pour atteindre la carboneutralité.

La technologie des piles à hydrogène remonte au XIXe siècle, lorsque William Nicholson et Anthony Carlisle ont réussi à décomposer l’eau en ses deux éléments, soit l’hydrogène et l’oxygène, à l’aide d’électricité. Ce processus, appelé électrolyse, a permis à William Grove de créer la première pile à combustible fonctionnelle en 1839 lorsqu’il a généré de l’électricité à partir d’une réaction électrochimique de l’hydrogène et de l’oxygène en utilisant du platine comme catalyseur. L’obtention d’électricité à partir de la pile à combustible a démontré le fait que les piles à hydrogène pouvaient fonctionner comme une batterie.

Les travaux de recherche qui s’en sont suivis ont donné naissance à plusieurs types de piles à hydrogène avec diverses propriétés qui les rendent adaptées à une variété d’applications. L’hydrogène est le combustible de la pile à hydrogène, mais lorsqu’il est combiné à de l’oxygène (généralement de l’air), il produit de l’électricité à partir d’une réaction chimique plutôt que d’une combustion. Le sous-produit est l’eau.

Quelques types de piles3 à hydrogène conviennent à des applications qui atténuent la combustion d’énergies fossiles, et qui permettent donc d’éliminer des émissions de carbone. Cherchant à tenir leurs promesses de réduction des émissions d’ici l’atteinte de la « carboneutralité » (où les émissions de carbone seront compensées par des réductions d’émissions de carbone), les gouvernements ont dirigé l’élaboration de stratégies nationales relatives à l’hydrogène.

L’hydrogène est un élément abondant, mais que l’on trouve généralement en combinaison avec de l’oxygène (eau) et du carbone (hydrocarbures). Chaque source d’hydrogène a ses partisans et ses opposants, et bien que l’hydrogène qui en résulte soit le même, le débat politique sur l’hydrogène est devenu coloré, littéralement.

Lorsqu’un hydrocarbure est décomposé en ses éléments constitutifs, soit l’hydrogène et le carbone, le sous-produit de carbone qui en résulte peut être libéré dans la nature ou capturé. Le carbone capturé peut être utilisé dans des processus industriels ou stocké pour prévenir les impacts environnementaux négatifs. L’hydrogène issu des hydrocarbures sans capture du carbone a été qualifié de « gris ». Lorsque le carbone est capturé, on parle plutôt d’hydrogène « bleu ».

L’hydrogène bleu est clairement plus bénéfique pour le climat que l’hydrogène gris, mais il existe aussi de l’hydrogène « vert ». L’hydrogène vert est produit par électrolyse, soit le procédé dont Nicholson et Carlisle sont les pionniers. Les partisans de l’hydrogène vert considèrent l’électricité produite par des méthodes à émission nulle — cellules solaires, éoliennes, barrages hydroélectriques et centrales nucléaires — comme une solution prometteuse pour décarboniser les économies sans les priver d’énergie. À l’heure actuelle, le coût de production de l’hydrogène vert est plus élevé que celui de l’hydrogène bleu, et bien que les aspects économiques de l’hydrogène vert puissent s’améliorer au fil du temps grâce aux progrès de la technologie, ce type d’hydrogène sera probablement toujours désavantageux sur le plan des coûts, car il nécessite plusieurs conversions d’énergie.

C’est la deuxième raison pour laquelle les gouvernements doivent élaborer des stratégies nationales relatives à l’hydrogène, au-delà de leurs promesses de carboneutralité. La science est indifférente au choix entre les méthodes « bleue » ou « verte » de production d’hydrogène; les aspects économiques des deux méthodes favorisent aujourd’hui la bleue, mais la méthode verte s’efforce de combler l’écart. Le choix est donc politique.

Pour les régions disposant de grandes ressources en hydrocarbures, comme l’Alberta ou le Texas, la production d’hydrogène bleu offre un moyen de participer aux efforts nationaux et internationaux visant à répondre aux préoccupations climatiques. Les habitants de ces endroits ont souvent une vision politique conservatrice. Les cycles d’expansion et de ralentissement typiques des marchés des matières premières présentent suffisamment de risques et d’incertitudes. S’en tenir à ce qui a fait ses preuves et s’efforcer de vivre selon les valeurs qui reflètent une bonne réputation sont des vertus qui prouvent leur valeur dans les moments difficiles, lorsque vous apprenez sur qui vous pouvez compter et qui sont vos véritables amis.

En 2021, les dirigeants d’Ottawa et de Washington sont progressistes, et la production d’hydrogène vert les séduit, car elle reflète le pouvoir de la technologie qui permettra aux nations d’atteindre des objectifs climatiques ambitieux. L’urgence de ces objectifs justifie des changements majeurs, en passant outre les objections et en faisant fi des opposants.

Et pourtant, le Canada et les États-Unis ont tous deux adopté des stratégies relatives à l’hydrogène qui tiennent compte de tout le spectre des couleurs de la production d’hydrogène. Cet œcuménisme dans l’offre d’hydrogène reflète en partie le problème de demande. Les piles à hydrogène feront progresser l’électrification des transports et aideront les réseaux électriques à équilibrer la production intermittente.

Il sera difficile pour les services publics d’électricité d’investir de façon importante dans les véhicules à piles à combustible ainsi que dans les installations de piles à combustible — et d’augmenter drastiquement la capacité de production, de transmission et de distribution d’électricité sur le continent — alors que les économies se remettent encore de la pandémie. La reconstruction en mieux nécessitera un large soutien et sera plus laborieuse si les partisans des méthodes bleue et verte de production d’hydrogène commencent à s’affronter maintenant.

Les entreprises membres de l’Association canadienne du gaz joueront un rôle central dans les débats sur l’hydrogène en Amérique du Nord. La logistique de l’approvisionnement en hydrogène ressemblera probablement plus à celle du gaz naturel qu’à celle du pétrole, car l’hydrogène peut être produit dans de nombreux endroits, et le transport de l’hydrogène par bateau nécessite une flotte maritime qui n’existe pas encore. Tout comme le gaz, l’hydrogène peut entraîner l’établissement de plaques tournantes d’approvisionnement qui sont reliées aux consommateurs par des conduites et grâce à une certaine forme de transport terrestre d’hydrogène sous forme d’ammoniac ou de méthanol.

« La logistique de l’approvisionnement en hydrogène ressemblera probablement plus à celle du gaz naturel qu’à celle du pétrole, car l’hydrogène peut être produit dans de nombreux endroits, et le transport de l’hydrogène par bateau nécessite une flotte maritime qui n’existe pas encore  »

L’ajout d’hydrogène dans les gazoducs existants est une solution possible, mais celle-ci comporte des risques, car l’adultération du gaz affecte la pression dans les conduites. Un réseau de pipelines dédiés à l’hydrogène coûterait plus cher maintenant, mais serait plus judicieux à moyen terme, le temps que la demande s’établisse. Des pipelines séparés pour l’hydrogène vert et l’hydrogène bleu augmenteraient les coûts de manière exponentielle et n’apporteraient aucun avantage réel puisque l’hydrogène qu’ils fournissent est le même.

Washington et Ottawa tenteront d’amener leurs économies dans une transition vers l’hydrogène afin d’atteindre la carboneutralité. Étant donné les récents antécédents des politiciens qui ne s’entendent sur rien, l’économie de l’hydrogène pourrait ne jamais décoller. Le débat « bleu contre vert » pourrait également paralyser l’économie de l’hydrogène.

Les membres de l’ACG savent ce qui est nécessaire pour faire progresser l’hydrogène en tant que composant du méthane. Ils comprennent l’importance de l’équipement pour favoriser la demande, et de la fiabilité pour convaincre les consommateurs d’investir dans un équipement leur permettant d’utiliser leur produit. Dans un monde rationnel, le secteur du gaz naturel gérerait la transition vers l’hydrogène si c’est ce que veulent les consommateurs.

« Les membres de l’ACG savent ce qui est nécessaire pour faire progresser l’hydrogène en tant que composant du méthane. Ils comprennent l’importance de l’équipement pour favoriser la demande, et de la fiabilité pour convaincre les consommateurs d’investir dans un équipement leur permettant d’utiliser leur produit ».

Les progrès réalisés en matière de vaccination et de lutte contre la COVID-19 pourraient rendre nos débats sur l’énergie au Canada et aux États-Unis un peu plus rationnels. Toutefois, les stratégies des deux pays en matière d’hydrogène resteront politiques, et donc incertaines, tant que les objectifs de carboneutralité correspondront à une équation à somme nulle en ce qui a trait à l’hydrogène bleu et vert.

Christopher Sands est le directeur du Woodrow Wilson International Center for Scholars de la Canada Institute et un professeur-chercheur principal à la Paul H. Nitze Shool for Advanced International Studies de l’Université Johns Hopkins, les deux établis à Washington D.C.

  1. Energy Department Releases its Hydrogen Program Plan (12 novembre 2020), en ligne : Department of Energy <www.energy.gov/articles/energy-department-releases-its-hydrogen-program-plan>.
  2. Stratégie relative à l’hydrogène, en ligne : Ressources naturelles Canada <www.rncan.gc.ca/changements-climatiques/strategie-relative-lhydrogene/23134>.
  3. Types of Fuel Cells, Hydrogen and Fuel Cell Technology Office, en ligne : <www.energy.gov/eere/fuelcells/types-fuel-cells>.